Le Magal Touba édition 2019 se tiendra sous peu d’où le prétexte pour nous de faire ‘’un constat de l’événement’’ (Magal) et de son siège (Touba). Du point de vue religieuse ou culturelle, politique, sociale, mais économique le Magal de Touba est une date ou station majeure. D’où mieux connaitre Touba et les toubiens, ce creuset de l’islam noir en effervescence pour le Magal nous fera partir d’une présentation du fondateur (Ahmadou Bamba) et de sa fondation (Touba et le mouridisme). Et le pèlerinage est un mouvement, un déplacement appartenant au lexique de la religion cela en vue de se ressourcer, de se purifier, et de recueillir ou rencontrer l’agrément d’un être vénérable, d’une divinité. Entre puristes et profanes, unicistes et pluralistes réside une différence d’appréciation de sa motivation car les uns déclarant que tout pèlerinage doit être une quête d’agrément d’un Dieu unique d’où Ibn Arabie de déclarer qu’en embrassant la pierre de la Kaaba, il lui avait d’avance déclaré ne le faire que par et pour Dieu car celle-ci ne saurait le nuire ou le combler. L’autre courant défend l’idée selon laquelle le ou la visité(e) ou retrouvé (e) en un lieu localisé est doté (e) de potentiels aptes à satisfaire leurs quêtes ou requêtes en tout lieu. D’où un éternel débat dont l’arbitrage n’est pas, ici, notre principale préoccupation.
-Une aspiration, un élan vers la pureté personnelle et populaire :
Située dans la région de Diourbel, plus exactement à l’Est dans le département de Mbacké, zone frontalière d’avec l’arrondissement de Ndindy, Touba est la mythique capitale du mouridisme. Elle a été fondée vers 1888 par Cheikh Amadou Bamba, initiateur d’une voie musulmane… Le fondateur de la cité et du Magal, à l’origine dans son hameau à travers ses écrits «Matlaboul Fawzaini» notamment rêvait d’une ville singulière ou du moins de la trempe des villes références islamiques : la Mecque, Médine…. Ce religieux rêveur comme on s’en doute pensait avant tout sa ville sous des contours religieux « Accorde moi à Touba une science utile, élevée et de référence qui va avec la crainte de Dieu…Faites de ma cité éternellement une référence en matière de sciences religieuses, de réflexions, et de compréhension, une cité de correction …Seigneur exaucez et accomplissez mes intentions à Touba, où à cause de vous des édifices sont édifiés pour Vous » (dans Matlaboul Fawzaini et Wa lakhad karamna).
Ainsi Touba est, aujourd’hui, un centre d’instruction et d’éducation religieuse remarquable à ses daaras, ses dahiras, sa bibliothéque, ses mosquées, ses instituts Al hazar de Serigne Mourtala... Formatés dans la cité et la confrérie mourides, ils sont nombreux, à Touba ces disciples, qui comme l’indique le terme désignant la confrérie (le mouride, le nostalgique de Dieu) se veulent des exemples vivants du soufisme mouride. Cette instruction religieuse axée surtout sur le coran et les khassaides (écrits du Cheikh) est pour les «toubiens» une référence dans et en tout d’où à Touba le religieux plane sur tous les segments de la vie. Dans le domaine de l’éducation, l’instruction islamique est donc dominante et préférable pour ces croyants plus confiants aux débouchés de la libre entreprise qu’a ceux de l’administration « la vente et l’achat sont les sources de la richesse : Diaye ak dieunde nioye indi alal » (Wade, 1968, p21). Ainsi pour ces ruraux-urbains nostalgiques de leur créateur (mourides), il urge plus de connaître la volonté de son seigneur que les connaissances matérialistes de l’occident.
L’accès aux daaras y est assuré à plus de 80 % or moins de 70% y avaient accès dans les villages de départ des migrants (Senagrosol, 2007). Le Magal Touba est désormais un rendez vous international pour répondre à l’invite du Guide d’une des rares voies (Tarikha) islamiques fondée par un noir africain. Le Magal, le mouridisme, Touba sont donc l’expression de l’islam noir africain, une guidance dont les ramifications sont désormais planétaires, d’où d’innombrables questions, surtout concernant son fondateur : Ahmadou Bamba Mbacké,’’khadimou rassoul’’ (le serviteur de l’envoyé Mouhamed paix et salut sur lui). Ce guide soufi, mystique est décrit par beaucoup de narrateurs selon divers angles attribués à sa personne. Mais, ici, nous allons nous référer à un des ses écrits pour tenter de cerner l’immensité du personnage de Cheikh Ahmadou Bamba, le serviteur du centre des équilibres. En effet, dans ‘’As Sundidu’’, le serviteur de l’élu des envoyés (le prophète Mouhamed) par un recours entier à l’infini, se dépouille de toutes vanités terrestres et invoque le très haut en magnifiant ses divers envoyés dont le plus illustre, les anges, les compagnons du prophète, les oulémas, les symboles grandioses de la royauté divine, les différents livres adressés aux peuples…le fondateur du mouridisme prie pour les tiens disons pour toute la création pour qu’ils accèdent à la félicité terrestre et dans l’au de là : « O mon Dieu, je t’invoque par considération pour l’élu, le noble et généreux (Mouhamed)…Par tous les anges dont leur élite, Gabriel…Par les compagnons du prophète dont Aboubakr, le véridique…Par les oulémas dont Malik (Ibn Anas), le très distingué…Par la table, la plume bien gardée, puis par ton trône immense et par le siège, O mon Dieu…Seigneur! Faites descendre sur nous le voile de la bonne santé, exauce nos vœux ici bas et dans l’au de là, O mon Dieu!...». Aujourd’hui, c’est ce recours, cette référence à un Dieu unique qui a comblé son serviteur, lequel lui exprime sa gratitude personnelle et populaire qui est à l’origine de ce conclave multicolore.
- Au point de vue sociologique, une réactualisation de la réponse sociale
Touba, terre du mouridisme est d’intégration facile par « l’esprit ouvert » et donc la commodité du mouridisme. Le mouridisme idéologie de référence à Touba, est une tarikha « voie » sunnite, fondée par Cheikh Ahmadou Bamba .D’abord, érudit enseignant les sciences religieuses, le cheikh devint initiateur d’une voie mystique musulmane, sufi (plus que l’enseignement il se proclama une passerelle vers le prophète et Dieu lui-même). Cette voie est devenue depuis plus d’un siècle une des plus grandes confréries du Sénégal dont le chef suprême est le Khalife général, héritier biologique, mais surtout spirituel, du fondateur. De nos jours le mouridisme est une organisation structurée et hiérarchisée opérant ou influant au-delà du religieux. Très au fait et ancré dans la société sénégalaise, le mouridisme est une réponse constamment adaptée aux défis des temps : né en réponse ou riposte religieuse et culturelle d’un peuple colonisé, consolidé comme un interlocuteur avisé, écouté et estimé des différents corps composants de la nation sénégalaise; le mouridisme de nos jours étend ses tentacules dans le monde entier et semble s’investir dans tous les secteurs de développement.
D’abord, l’agriculture, ensuite le commerce, les mourides ne connaissent plus de frontières dans les métiers: « La confrérie mouride est l’un des groupes emblématiques et porteurs de cette évolution. Devenue un mouvement socio-religieux migrant, elle a pris une envergure nationale par les milieux ruraux et les milieux urbains, puis internationale en intégrant les interstices d’une économie mondiale dont on dit pourtant qu’elle est globalisante et dominatrice. Je le souligne avec Mamadou Diouf, les Mourides s’inscrivent dans une logique de participation active à la mondialisation dont ils surfent sur la vague » (C Guéye ,2001). Au début plutôt rurale, la confrérie s’est urbanisée. Cette ascension fulgurante du mouridisme basée sur le charisme, « la baraka » de son initiateur est aussi le fait de sa structuration adéquate et avisée aux temps et milieux : « parce qu’elle semble attirer à loisir les contradictions (le mouridisme se veut à la fois la voie de l’élite et celle des masses, l’orthodoxie la plus rigide peut y côtoyer le syncrétisme le plus audacieux, les bons marabouts peuvent y avoisiner avec de vulgaires affairistes ». (Mori Magassouba, 1985, p30).
Hormis le khalife et son état major composé des Mbacké et cheikhs. Le gros de la troupe est composé de disciples disséminés en deux sous confréries : la confrérie civile disons des mourides simples et celle des « enrôlés » ou baye fall, sous groupe minoritaire. Les membres du premier sous groupe sont aussi hétérogènes qu’est le peuple sénégalais voire l’humanité tant dans leurs races, leurs conditions sociales, nationalités…Le deuxième sous groupe des baye fall plus restreint est composé le plus souvent d’hommes optant pour cette forme de particularité ou tout simplement en marge de la société : « Elle (le premier sous groupe) leur impute non sans raison la responsabilité des jugements abrupts, voire des accusations de coupable déviation dont la doctrine d’Ahmadou Bamba est souvent l’objet de la part des autres confréries islamiques» (Pélissier,1966). La structuration du bas ou discipline confrérique est essentiellement soutenue par deux piliers fondamentaux que sont le daara et le dahira. Les daaras, lieux d’enseignement des sciences islamiques, sont aussi des cellules de production agricole pouvant avec le temps constituer un village.
Les dahiras constituent l’organe de propagation, d’encadrement et de liaison des disciples d’avec l’autorité maraboutique. Leur importance est telle qu’on pourrait dire qu’ils sont les remparts irremplaçables de la confrérie en face des mutations : « Organisé sur la base du lieu de résidence ou de travail, le dahira peut compter plusieurs dizaines de membres toutes catégories sociales et toutes ethnies confondues. Aucune discrimination à caractère de caste n’y est tolérée et le seul critère d’adhésion est le « djébelou »au même guide spirituel. Les dirigeants de ces dahiras qui sont démocratiquement élus par les talibés, présentent en milieu urbain, la particularité d’être pour la plupart des lettrés (souvent des fonctionnaires). Le choix des instruits n’est pas du au hasard dans la mesure où il facilite grandement toutes les demandes à caractère administratif » (Mori Magassouba, 1985, p37).
Ces dahiras sont de nos jours des organes de brassage, d’intégration, de soutiens sociaux partout à travers le monde : « Au début des années 1940, Khalifa Ababacar Sy, le guide spirituel de la branche Sy du Sénégal a été le premier à créer des dahiras en ville. Par la suite tous les autres lignages confrériques ont initié ce modèle….De toutes les confréries sénégalaises ce sont, toutefois, les mourides qui ont fait de la dahira non pas seulement un mécanisme essentiel de leur insertion en milieu urbain, mais aussi un outil fondamental de leur organisation et de leur dynamisme » (Cheikh Sarr, 2003, p170) Ils font aussi office de réservoirs et de bailleurs de fonds (mains financiers) de la confrérie.
-Touba, terre des wolofs, ethnie de l’ouverture
A Touba, les wolofs constituent la population majoritaire et facilitatrice de toute intégration, et même au delà du territoire toubien, d’où une facilité d’insertion de Touba. Cette ethnie souvent citadine au Sénégal y a dans nombre de domaines et contexte fait montre d’une capacité d’adaptation rapide. En effet, les wolofs y ont été les premiers à oser s’implanter en ville et s’urbaniser. Ce constat est d’autant plus importante qu’en Afrique pendant longtemps la ville «création du blanc » a été stigmatisée comme le lieu de tous les maux, inhumaine, faite de dérives, dépravations, cruautés (Ville cruelle Eza Botto ; Cette Afrique là de Jean Ikellé Matiba ; Kocoumbo, l’étudiant noir de Aké Loba ; Maimouna de A Sadji…) Renier la ville était donc une autre forme de rejeter le blanc. Cette ouverture wolof est corroborée par Makhtar Diouf : «Les wolofs qui constituent le groupe dominant ont une attitude très positive envers leurs autres compatriotes. Par contre, les autres membres interviéwés, des autre groupes ethniques s’ils s’épargnent entre eux, réflexes de solidarité des groupes minoritaires, sont en général assez sévères à l’endroit des wolofs « (Makhtar Diouf , Sénégal, les ethnies et la nation).
-L’intégration socioculturelle à Touba
A Touba y’a deux demeures celle du marabout et celle du talibé, tels sont les propos d’un vieux mouride pour résumer la société toubienne. Ici, l’homogénéité est la règle, pour les autochtones se dire égaux aux nouveaux venus est un signe d’humilité; et pour les nouveaux un signe d’intégration, de bien être dans la cité. L’homogénéité de la société toubienne s’affirme aussi par la dominance de l’ethnie wolof avec plus de 95% de wolofs et 98,8% de mouride (Sénagrosol, 2007). Il faut aussi relever que le mouridisme fut une réponse à la dislocation des repères de la société wolof. En effet, celle-ci fortement stratifiée a avec la colonisation et autres bouleversements induits par l’étranger connu un désarroi : « Les rois vaincus, la superstructure politique et sociale éclatée, l’économie monétaire instituée (l’impôt de capitation et culture de l’arachide). Cheikh Ahmadou Bamba, qui bénéficiait déjà d’une aura certaine dans sa famille et son entourage depuis son jeune âge, devient à partir de 1881, (un puissant élément polarisateur) face au désarroi de toutes les composantes de la société wolof. « (Cheikh Guéye, 2002, p40).
Jean Copans parlait de Conditions d’apparitions alors que pour Cheikh Guéye, cette situation a motivé une riposte : « Cette réponse est religieuse, politique, et se soucie également de restaurer des équilibres affectifs et symboliques « (Cheikh Guéye, 2002, p37). Le réconfort religieux exploité avant et ailleurs d’où Nitch parlait de l’opium du peuple a été ici aussi présent : « la confrérie est une réponse religieuse à la rupture partielle des bases sociales wolof. » (Cheikh Guéye, 2002, p37). Le rôle conciliateur ou calculateur tenu par le système maraboutique dans cette situation est souligné par Samir Amin : « l’islam est devenu un moyen puissant d’intégration de la périphérie nouvelle et de soumission du centre ». Cet aspect n’a pas échappé à la vigilance de Marty : « le marabout remplaçant par ou sans notre faute, le chef traditionnel c’est autour de lui que la société noire tend à s’organiser, son autorité remplace celle des anciens chefs du pays et s’accroît même du prestige religieux ».
Aujourd’hui encore, cette déviation de destination est louée et chantée : « Boudoul wone serignebi wolof nassaranou sé kone nieup nirani » (chant wolof disant si ce n’était le Cheikh le wolof serait devenu comme le blanc et ainsi nous tous serions voués à la géhenne). Touba est donc le lieu de la réactualisation de la réponse sociale mouride aux défis des temps.
-Une foire géante
Les fondements de l’initiative économique mouride
En bonne place dans l’éducation religieuse de Cheikh Ahmadou Bamba, insistons dans l’éducation religieuse, car il ne s’agit pas d’au-delà de l’éducation religieuse, mais bien d’une composante à part entière de cette éducation, est le devoir d’entreprendre. « La sueur du travail conduit au paradis » (la doctrine économique du mouridisme, Wade 1968). Et Me Wade définissait le travail dans l’optique mouride comme étant « l’échelle concrète» qui permet d’accéder au paradis. Et parler du travail mouride ne peut se faire sans l’exemple inégalable qu’est : « Cheikh Ibra fall ou le travail devenu condition suffisante » (Wade, 1968, p27)
Commerce et Marchés dans Touba
Secteur drainant de l’économie toubienne, le commerce dans Touba bénéficie d’une facilité de ravitaillement et d’écoulement. Avec l’exterritorialité, Touba constitue une zone franche où l’on est vite exonéré de taxes, sans compter avec le nombre important d’émigrés ressortissants et ravitaillant de Touba. Ainsi, aux commerçants attirés par la rentabilité (moins de taxes qu’ailleurs), et la rapidité d’écoulement (nombre important de la population), s’ajoutent les toubiens de la diaspora. Touba, ville désignée comme paradoxale l’est aussi par sa manie à ériger et improviser des marchés. Par un simple tour de la cité, l’on constate une panoplie de marchés avec leurs similitudes et leurs différences : de par l’ancienneté, la fréquentation, le maintien et le standing, l’offre, la gestion et la taxation …Même si, la touche africaine est notable dans les marchés de Touba : « ce qui caractérise de prime abord les grands marchés des villes d’Afrique noire, c’est la diversité des fonctions qu’ils assurent : micro détail, détail, demi gros et gros, zone de stockage et réexpédition, zone de service et d’artisanat….» (Paulais et wilhom, 2000).
Le chiffre fournit sur le nombre exact de marchés est aussi divers que le nombre d’interlocuteurs : pour la CR c’est plus de19 marchés (le critère est le lotissement et le recouvrement de taxes sur place), d’autres tel le délégué de Ocass Syni Diéne parlent de 26 marchés ou plus. Ces divers marchés ont pour noms : Ocass, Darou Marnane, Dianatoul Mahwa, Khayra, Oumoul Khoura, Mame Bineta, garage Darou, Guédé, Ndiénné, Mbaré, Gouye Mbind, Sékhéw gua, Serigne Daba Sarr, Fallou Niane (en construction), Ganaw rail, Serigne Modou Bousso, Keur Mame Thierno…Et un autre délégué Baye Samba Diop pour corroborer cette densité de Touba en marchés, relève qu’entre son marché de Darou Marnane et Ocass, 3 Km se trouvent 5 marchés. Cette trame de marché à Touba, a un impact, une incidence réelle sur le rythme urbain.
Qu’on les appelle baol baol ou modou modou, leur spécialité commerciale et dans la débrouillardise, est établie : «les modou modou ont mis entre autres, en place un réseau commercial spécialisé dans la distribution des produits électroménagers, de transport d’argent et de fret…Ce dynamisme commercial, entrepreneurial mouride est étudié par un grand nombre de chercheurs de pays différents.
Les marchés spécialisés et ou intermédiaires, et centres commerciaux :
L’immigration à Touba induit une densité de la population, un accroissement de la demande, et une saturation des places commerçantes ou marchés. Devant cet état de fait, Touba et son commerce se devaient d’apporter une réponse, une réplique à la situation établie. La stratégie toubienne consista en deux initiatives que sont les marchés intermédiaires et les centres commerciaux. Les marchés dits intermédiaires le sont surtout en référence à Ocass, grand mais distant de la périphérie et incapable de contenir la vague des acheteurs et vendeurs toubiens
Quelques retombées du Magal dans Touba et ailleurs :
Le Magal, une forte affluence vers Touba de plusieurs millions de personnes vide un bon nombre de contrées du pays de leurs populations dont Dakar où le commerce en centre ville est la plupart du temps mené par les mourides. Et c’est au chapitre des incidences économiques que beaucoup d’analystes et autres chercheurs considèrent le conclave. Les universitaires de Bambey parlent d’une manne financière qui s’y déverse : « Le Magal de Touba génère près de 250 milliards de francs CFA». Constat d’un dynamisme corroboré par l’étude de Moubarck Lo : « En 2011, quand on avait fait l’étude, on a remarqué que 70% du chiffre d’affaires des commerçants à Touba était réalisé durant le magal ». Le commerce toubien connait donc une forte demande en période de Magal qui mérite l’aménagement de stratégies consolidantes : «82% de l’échantillon, parmi les commerces qui voient leur chiffre d’affaire augmenter, arrivent à satisfaire la demande supplémentaire. Le reste, c’est-à-dire les 18%, citent comme contraintes : la forte demande à laquelle ils ne peuvent pas faire face, les retards dans l’approvisionnement liés au transport (l’encombrement des rues à quelques jours du Magal limite l’approvisionnement des distributeurs), la rupture des produits chez les grossistes du fait de la forte demande, les retards de commandes».
-La parade des politiques alléchés par les diverses capacités de mobilisation
La massification par immigration, cette opération de haute voltige socio-démographique équivaudra t’elle à plus de poids politique, plus de moyens de pressions et justifications de la sollicitation étatique ou à une fin du khalifat tout puissant, une implosion? Quoiqu’on en dise la cité a su offrir des facilités d’insertion spatiale, sociale, professionnelle d’où un rush. Et le Magal tout comme les Magals annexes sont un moment important d’étalage de sa capacité de mobilisation pour certains dignitaires surtout ceux montants mais d’appréciation de la clientèle pour savoir s’orienter chez les politiques surtout que des études démontrent que les mourides sont les plus respectueux de l’injonction électorale ’’ndigueul’’ de leurs guides. Et vers 2008, avec plus de 600.000 hbts, aujourd’hui environ 1.500 000 hbts, deuxième ville sénégalaise, ce tenancier de destins sénégalais pourra t’il et devra t’il se complaire dans son statut d’extraterritorialité? Cette extraterritorialité est elle sécurisante pour la nation sénégalaise? Doit-elle connaître une fin ou se recadrer au contexte? N’allons nous pas vers une nouvelle macrocéphalie urbaine incontrôlable religieusement, vers un croisement sur place d’intérêts divergents? D’où une nécessaire immixtion voire prise en main de l’Etat, le déclin de la suprématie maraboutique zonale?
-Un rendez vous coutumier mais une curiosité à motivations multiples
Le Magal de Touba est un grand rendez vous du tourisme culturel sénégalais, nombreux sont les sites et dates cités dans son riche patrimoine culturel, constituant une attraction religieuse et touristique : «….culturale et cultuelle, attrait présent et passé» (Soleil, 2009), mais une fierté des résidants immigrants y compris : la grande mosquée de Touba, Mausolée de Cheikh Ahmadou Bamba, la grande bibliothèque de Touba d’une capacité de 200 000 ouvrages, les instituts al azar et l’université nouvelle, l’eau bénite ’’rahmaty’’, l’empreinte de la religion sur Touba et les toubiens, les nombreuses et somptueuses mosquées de quartier. La deuxième ville du Sénégal faite ville modèle de l’Unesco est singulière par son urbanisation rapide et la vie des communautés mourides, les marchés et places commerçantes, les dates et symboles références. Islam noir, tarikha du local, le mouridisme affiche à Touba les mausolées, les cimetières qui abritent des sénégalais de toutes provenances , la foire ou croisement commercial international, les écrits du guide « Khassaides », les articles souvenirs en audio où vidéos, les effigies des dignitaires, les bains de foule, les retrouvailles disciples guides et entre disciples pour renouveler les feuilles de route, l’ambiance des conférences et récitals du coran et des chants du cheikh « khassaides », les expositions de hizbut tarkhiya et de l’institut international de recherche sur le mouridisme (IIRM), les dégustations (berndé), le défilé des cortèges bigarrés, l’étalage des nouvelles tendances de la mode, les marchés contextualisés, spécialisés et généralistes…..
-Des opportunités de larcins et autres trafics
Si à Touba, l’immigration encouragée et le Magal constitue sans conteste l’un des moteurs de l’économie locale. Les fléaux dus à la massification et l’événementiel à Touba font légion. En effet, les autorités locales craignent une tentative de désacralisation de la cité car la foule constitue à la fois un coup et un confort pour Touba. Et comme le dit l’adage, la survenance de maux méconnus dans un espace donné est fort imputable à l’étranger : « au total 276 personnes ont été arrêtées par la police pour divers délits lors d’opérations de sécurisation précédant à Touba la célébration du grand Magal». C’est ainsi, que le troisième khalife de la confrérie mouride Abdoul Ahad, par une formule désormais célèbre, a justifié son autorisation décriée donnée aux services de sécurité d’investir la ville avec des chiens renifleurs.
A la suite du 3eme khalife, le 4eme Serigne Saliou et son entourage n’ont eu de cesse d’appeler au respect de la sacralité de la cité (wormal léne deukbi). Toutefois, l’ampleur du trafic de drogue surtout en temps de rassemblement n’y est pas un secret. Cette crainte de la désacralisation des lieux est d’autant plus fondée qu’avec un statut d’exterritorialité, les services de sécurité ne sont pas toujours libres d’agir à leur guise, sont déclarés absents de la périphérie d’où toutes les dérives des grandes villes sont aujourd’hui répertoriées à Touba. C’est ainsi que le dynamisme des marchés attirent des marchandes de chaire. Devenue une place financière, le braquage des services financiers y est connu : « Ainsi, le pôle Touba-Mbacké réunit 1279 personnes poursuivies soit 64% de la délinquance de la région de Diourbel; il s’agit essentiellement d’hommes jeunes et sénégalais, originaires de l’ensemble du Sénégal…la contrebande (reste) le levier principal de la transformation de la ville religieuse en pôle économique et financier fort.…
Cette activité de contrebande impliquant des réseaux transnationaux a profité du statut d’exterritorialité pour se développer …Les revenus de l’émigration internationale et la contrebande induisent une croissance économique qui rend la ville de Touba d’autant plus attractive pour la population délinquante. Elle y commet des vols mais surtout elle infiltre les réseaux du commerce illicite et introduit des produits prohibés (stupéfiants, armes, …) autres que les biens de consommation (thé, tissu, alcool, voiture, …) objets d’un trafic tacitement admis, sur lequel repose la richesse des grands commerçants de Touba » (IGAJ : inspection générale de l’administration judiciaire). L’irrespect des règles n’épargne non plus celles d’hygiène avec l’affluence surtout pendant les cérémonies religieuses, la demande croissante, le secteur délicat de l’alimentaire se voit infiltré par des prestataires de services sans éthique. C’est ainsi qu’en un moment tous les foyers de choléra partaient de Touba. Ainsi, la cité ralliée sait prendre des contours d’un cocktail explosif, avec des projectiles dépassant le territoire d’exterritorialité toubien d’où les dignitaires seraient favorables à plus d’Etat. Besoin d’Etat qui connait donc son paroxysme en temps de Magal.
Allons tous au Magal de Touba car le signifiant de même que le signifié en valent la peine mais en sachant que l’Eternel «AL BAQUY» qui ne connait pas d’incapacités, «AL QUADIR» est partout «ACH CHAHID», donc (Illimité dans le temps et dans l’espace).
P B Moussa Kane
Doctorant en développement-aménagement, UGB
-Une aspiration, un élan vers la pureté personnelle et populaire :
Située dans la région de Diourbel, plus exactement à l’Est dans le département de Mbacké, zone frontalière d’avec l’arrondissement de Ndindy, Touba est la mythique capitale du mouridisme. Elle a été fondée vers 1888 par Cheikh Amadou Bamba, initiateur d’une voie musulmane… Le fondateur de la cité et du Magal, à l’origine dans son hameau à travers ses écrits «Matlaboul Fawzaini» notamment rêvait d’une ville singulière ou du moins de la trempe des villes références islamiques : la Mecque, Médine…. Ce religieux rêveur comme on s’en doute pensait avant tout sa ville sous des contours religieux « Accorde moi à Touba une science utile, élevée et de référence qui va avec la crainte de Dieu…Faites de ma cité éternellement une référence en matière de sciences religieuses, de réflexions, et de compréhension, une cité de correction …Seigneur exaucez et accomplissez mes intentions à Touba, où à cause de vous des édifices sont édifiés pour Vous » (dans Matlaboul Fawzaini et Wa lakhad karamna).
Ainsi Touba est, aujourd’hui, un centre d’instruction et d’éducation religieuse remarquable à ses daaras, ses dahiras, sa bibliothéque, ses mosquées, ses instituts Al hazar de Serigne Mourtala... Formatés dans la cité et la confrérie mourides, ils sont nombreux, à Touba ces disciples, qui comme l’indique le terme désignant la confrérie (le mouride, le nostalgique de Dieu) se veulent des exemples vivants du soufisme mouride. Cette instruction religieuse axée surtout sur le coran et les khassaides (écrits du Cheikh) est pour les «toubiens» une référence dans et en tout d’où à Touba le religieux plane sur tous les segments de la vie. Dans le domaine de l’éducation, l’instruction islamique est donc dominante et préférable pour ces croyants plus confiants aux débouchés de la libre entreprise qu’a ceux de l’administration « la vente et l’achat sont les sources de la richesse : Diaye ak dieunde nioye indi alal » (Wade, 1968, p21). Ainsi pour ces ruraux-urbains nostalgiques de leur créateur (mourides), il urge plus de connaître la volonté de son seigneur que les connaissances matérialistes de l’occident.
L’accès aux daaras y est assuré à plus de 80 % or moins de 70% y avaient accès dans les villages de départ des migrants (Senagrosol, 2007). Le Magal Touba est désormais un rendez vous international pour répondre à l’invite du Guide d’une des rares voies (Tarikha) islamiques fondée par un noir africain. Le Magal, le mouridisme, Touba sont donc l’expression de l’islam noir africain, une guidance dont les ramifications sont désormais planétaires, d’où d’innombrables questions, surtout concernant son fondateur : Ahmadou Bamba Mbacké,’’khadimou rassoul’’ (le serviteur de l’envoyé Mouhamed paix et salut sur lui). Ce guide soufi, mystique est décrit par beaucoup de narrateurs selon divers angles attribués à sa personne. Mais, ici, nous allons nous référer à un des ses écrits pour tenter de cerner l’immensité du personnage de Cheikh Ahmadou Bamba, le serviteur du centre des équilibres. En effet, dans ‘’As Sundidu’’, le serviteur de l’élu des envoyés (le prophète Mouhamed) par un recours entier à l’infini, se dépouille de toutes vanités terrestres et invoque le très haut en magnifiant ses divers envoyés dont le plus illustre, les anges, les compagnons du prophète, les oulémas, les symboles grandioses de la royauté divine, les différents livres adressés aux peuples…le fondateur du mouridisme prie pour les tiens disons pour toute la création pour qu’ils accèdent à la félicité terrestre et dans l’au de là : « O mon Dieu, je t’invoque par considération pour l’élu, le noble et généreux (Mouhamed)…Par tous les anges dont leur élite, Gabriel…Par les compagnons du prophète dont Aboubakr, le véridique…Par les oulémas dont Malik (Ibn Anas), le très distingué…Par la table, la plume bien gardée, puis par ton trône immense et par le siège, O mon Dieu…Seigneur! Faites descendre sur nous le voile de la bonne santé, exauce nos vœux ici bas et dans l’au de là, O mon Dieu!...». Aujourd’hui, c’est ce recours, cette référence à un Dieu unique qui a comblé son serviteur, lequel lui exprime sa gratitude personnelle et populaire qui est à l’origine de ce conclave multicolore.
- Au point de vue sociologique, une réactualisation de la réponse sociale
Touba, terre du mouridisme est d’intégration facile par « l’esprit ouvert » et donc la commodité du mouridisme. Le mouridisme idéologie de référence à Touba, est une tarikha « voie » sunnite, fondée par Cheikh Ahmadou Bamba .D’abord, érudit enseignant les sciences religieuses, le cheikh devint initiateur d’une voie mystique musulmane, sufi (plus que l’enseignement il se proclama une passerelle vers le prophète et Dieu lui-même). Cette voie est devenue depuis plus d’un siècle une des plus grandes confréries du Sénégal dont le chef suprême est le Khalife général, héritier biologique, mais surtout spirituel, du fondateur. De nos jours le mouridisme est une organisation structurée et hiérarchisée opérant ou influant au-delà du religieux. Très au fait et ancré dans la société sénégalaise, le mouridisme est une réponse constamment adaptée aux défis des temps : né en réponse ou riposte religieuse et culturelle d’un peuple colonisé, consolidé comme un interlocuteur avisé, écouté et estimé des différents corps composants de la nation sénégalaise; le mouridisme de nos jours étend ses tentacules dans le monde entier et semble s’investir dans tous les secteurs de développement.
D’abord, l’agriculture, ensuite le commerce, les mourides ne connaissent plus de frontières dans les métiers: « La confrérie mouride est l’un des groupes emblématiques et porteurs de cette évolution. Devenue un mouvement socio-religieux migrant, elle a pris une envergure nationale par les milieux ruraux et les milieux urbains, puis internationale en intégrant les interstices d’une économie mondiale dont on dit pourtant qu’elle est globalisante et dominatrice. Je le souligne avec Mamadou Diouf, les Mourides s’inscrivent dans une logique de participation active à la mondialisation dont ils surfent sur la vague » (C Guéye ,2001). Au début plutôt rurale, la confrérie s’est urbanisée. Cette ascension fulgurante du mouridisme basée sur le charisme, « la baraka » de son initiateur est aussi le fait de sa structuration adéquate et avisée aux temps et milieux : « parce qu’elle semble attirer à loisir les contradictions (le mouridisme se veut à la fois la voie de l’élite et celle des masses, l’orthodoxie la plus rigide peut y côtoyer le syncrétisme le plus audacieux, les bons marabouts peuvent y avoisiner avec de vulgaires affairistes ». (Mori Magassouba, 1985, p30).
Hormis le khalife et son état major composé des Mbacké et cheikhs. Le gros de la troupe est composé de disciples disséminés en deux sous confréries : la confrérie civile disons des mourides simples et celle des « enrôlés » ou baye fall, sous groupe minoritaire. Les membres du premier sous groupe sont aussi hétérogènes qu’est le peuple sénégalais voire l’humanité tant dans leurs races, leurs conditions sociales, nationalités…Le deuxième sous groupe des baye fall plus restreint est composé le plus souvent d’hommes optant pour cette forme de particularité ou tout simplement en marge de la société : « Elle (le premier sous groupe) leur impute non sans raison la responsabilité des jugements abrupts, voire des accusations de coupable déviation dont la doctrine d’Ahmadou Bamba est souvent l’objet de la part des autres confréries islamiques» (Pélissier,1966). La structuration du bas ou discipline confrérique est essentiellement soutenue par deux piliers fondamentaux que sont le daara et le dahira. Les daaras, lieux d’enseignement des sciences islamiques, sont aussi des cellules de production agricole pouvant avec le temps constituer un village.
Les dahiras constituent l’organe de propagation, d’encadrement et de liaison des disciples d’avec l’autorité maraboutique. Leur importance est telle qu’on pourrait dire qu’ils sont les remparts irremplaçables de la confrérie en face des mutations : « Organisé sur la base du lieu de résidence ou de travail, le dahira peut compter plusieurs dizaines de membres toutes catégories sociales et toutes ethnies confondues. Aucune discrimination à caractère de caste n’y est tolérée et le seul critère d’adhésion est le « djébelou »au même guide spirituel. Les dirigeants de ces dahiras qui sont démocratiquement élus par les talibés, présentent en milieu urbain, la particularité d’être pour la plupart des lettrés (souvent des fonctionnaires). Le choix des instruits n’est pas du au hasard dans la mesure où il facilite grandement toutes les demandes à caractère administratif » (Mori Magassouba, 1985, p37).
Ces dahiras sont de nos jours des organes de brassage, d’intégration, de soutiens sociaux partout à travers le monde : « Au début des années 1940, Khalifa Ababacar Sy, le guide spirituel de la branche Sy du Sénégal a été le premier à créer des dahiras en ville. Par la suite tous les autres lignages confrériques ont initié ce modèle….De toutes les confréries sénégalaises ce sont, toutefois, les mourides qui ont fait de la dahira non pas seulement un mécanisme essentiel de leur insertion en milieu urbain, mais aussi un outil fondamental de leur organisation et de leur dynamisme » (Cheikh Sarr, 2003, p170) Ils font aussi office de réservoirs et de bailleurs de fonds (mains financiers) de la confrérie.
-Touba, terre des wolofs, ethnie de l’ouverture
A Touba, les wolofs constituent la population majoritaire et facilitatrice de toute intégration, et même au delà du territoire toubien, d’où une facilité d’insertion de Touba. Cette ethnie souvent citadine au Sénégal y a dans nombre de domaines et contexte fait montre d’une capacité d’adaptation rapide. En effet, les wolofs y ont été les premiers à oser s’implanter en ville et s’urbaniser. Ce constat est d’autant plus importante qu’en Afrique pendant longtemps la ville «création du blanc » a été stigmatisée comme le lieu de tous les maux, inhumaine, faite de dérives, dépravations, cruautés (Ville cruelle Eza Botto ; Cette Afrique là de Jean Ikellé Matiba ; Kocoumbo, l’étudiant noir de Aké Loba ; Maimouna de A Sadji…) Renier la ville était donc une autre forme de rejeter le blanc. Cette ouverture wolof est corroborée par Makhtar Diouf : «Les wolofs qui constituent le groupe dominant ont une attitude très positive envers leurs autres compatriotes. Par contre, les autres membres interviéwés, des autre groupes ethniques s’ils s’épargnent entre eux, réflexes de solidarité des groupes minoritaires, sont en général assez sévères à l’endroit des wolofs « (Makhtar Diouf , Sénégal, les ethnies et la nation).
-L’intégration socioculturelle à Touba
A Touba y’a deux demeures celle du marabout et celle du talibé, tels sont les propos d’un vieux mouride pour résumer la société toubienne. Ici, l’homogénéité est la règle, pour les autochtones se dire égaux aux nouveaux venus est un signe d’humilité; et pour les nouveaux un signe d’intégration, de bien être dans la cité. L’homogénéité de la société toubienne s’affirme aussi par la dominance de l’ethnie wolof avec plus de 95% de wolofs et 98,8% de mouride (Sénagrosol, 2007). Il faut aussi relever que le mouridisme fut une réponse à la dislocation des repères de la société wolof. En effet, celle-ci fortement stratifiée a avec la colonisation et autres bouleversements induits par l’étranger connu un désarroi : « Les rois vaincus, la superstructure politique et sociale éclatée, l’économie monétaire instituée (l’impôt de capitation et culture de l’arachide). Cheikh Ahmadou Bamba, qui bénéficiait déjà d’une aura certaine dans sa famille et son entourage depuis son jeune âge, devient à partir de 1881, (un puissant élément polarisateur) face au désarroi de toutes les composantes de la société wolof. « (Cheikh Guéye, 2002, p40).
Jean Copans parlait de Conditions d’apparitions alors que pour Cheikh Guéye, cette situation a motivé une riposte : « Cette réponse est religieuse, politique, et se soucie également de restaurer des équilibres affectifs et symboliques « (Cheikh Guéye, 2002, p37). Le réconfort religieux exploité avant et ailleurs d’où Nitch parlait de l’opium du peuple a été ici aussi présent : « la confrérie est une réponse religieuse à la rupture partielle des bases sociales wolof. » (Cheikh Guéye, 2002, p37). Le rôle conciliateur ou calculateur tenu par le système maraboutique dans cette situation est souligné par Samir Amin : « l’islam est devenu un moyen puissant d’intégration de la périphérie nouvelle et de soumission du centre ». Cet aspect n’a pas échappé à la vigilance de Marty : « le marabout remplaçant par ou sans notre faute, le chef traditionnel c’est autour de lui que la société noire tend à s’organiser, son autorité remplace celle des anciens chefs du pays et s’accroît même du prestige religieux ».
Aujourd’hui encore, cette déviation de destination est louée et chantée : « Boudoul wone serignebi wolof nassaranou sé kone nieup nirani » (chant wolof disant si ce n’était le Cheikh le wolof serait devenu comme le blanc et ainsi nous tous serions voués à la géhenne). Touba est donc le lieu de la réactualisation de la réponse sociale mouride aux défis des temps.
-Une foire géante
Les fondements de l’initiative économique mouride
En bonne place dans l’éducation religieuse de Cheikh Ahmadou Bamba, insistons dans l’éducation religieuse, car il ne s’agit pas d’au-delà de l’éducation religieuse, mais bien d’une composante à part entière de cette éducation, est le devoir d’entreprendre. « La sueur du travail conduit au paradis » (la doctrine économique du mouridisme, Wade 1968). Et Me Wade définissait le travail dans l’optique mouride comme étant « l’échelle concrète» qui permet d’accéder au paradis. Et parler du travail mouride ne peut se faire sans l’exemple inégalable qu’est : « Cheikh Ibra fall ou le travail devenu condition suffisante » (Wade, 1968, p27)
Commerce et Marchés dans Touba
Secteur drainant de l’économie toubienne, le commerce dans Touba bénéficie d’une facilité de ravitaillement et d’écoulement. Avec l’exterritorialité, Touba constitue une zone franche où l’on est vite exonéré de taxes, sans compter avec le nombre important d’émigrés ressortissants et ravitaillant de Touba. Ainsi, aux commerçants attirés par la rentabilité (moins de taxes qu’ailleurs), et la rapidité d’écoulement (nombre important de la population), s’ajoutent les toubiens de la diaspora. Touba, ville désignée comme paradoxale l’est aussi par sa manie à ériger et improviser des marchés. Par un simple tour de la cité, l’on constate une panoplie de marchés avec leurs similitudes et leurs différences : de par l’ancienneté, la fréquentation, le maintien et le standing, l’offre, la gestion et la taxation …Même si, la touche africaine est notable dans les marchés de Touba : « ce qui caractérise de prime abord les grands marchés des villes d’Afrique noire, c’est la diversité des fonctions qu’ils assurent : micro détail, détail, demi gros et gros, zone de stockage et réexpédition, zone de service et d’artisanat….» (Paulais et wilhom, 2000).
Le chiffre fournit sur le nombre exact de marchés est aussi divers que le nombre d’interlocuteurs : pour la CR c’est plus de19 marchés (le critère est le lotissement et le recouvrement de taxes sur place), d’autres tel le délégué de Ocass Syni Diéne parlent de 26 marchés ou plus. Ces divers marchés ont pour noms : Ocass, Darou Marnane, Dianatoul Mahwa, Khayra, Oumoul Khoura, Mame Bineta, garage Darou, Guédé, Ndiénné, Mbaré, Gouye Mbind, Sékhéw gua, Serigne Daba Sarr, Fallou Niane (en construction), Ganaw rail, Serigne Modou Bousso, Keur Mame Thierno…Et un autre délégué Baye Samba Diop pour corroborer cette densité de Touba en marchés, relève qu’entre son marché de Darou Marnane et Ocass, 3 Km se trouvent 5 marchés. Cette trame de marché à Touba, a un impact, une incidence réelle sur le rythme urbain.
Qu’on les appelle baol baol ou modou modou, leur spécialité commerciale et dans la débrouillardise, est établie : «les modou modou ont mis entre autres, en place un réseau commercial spécialisé dans la distribution des produits électroménagers, de transport d’argent et de fret…Ce dynamisme commercial, entrepreneurial mouride est étudié par un grand nombre de chercheurs de pays différents.
Les marchés spécialisés et ou intermédiaires, et centres commerciaux :
L’immigration à Touba induit une densité de la population, un accroissement de la demande, et une saturation des places commerçantes ou marchés. Devant cet état de fait, Touba et son commerce se devaient d’apporter une réponse, une réplique à la situation établie. La stratégie toubienne consista en deux initiatives que sont les marchés intermédiaires et les centres commerciaux. Les marchés dits intermédiaires le sont surtout en référence à Ocass, grand mais distant de la périphérie et incapable de contenir la vague des acheteurs et vendeurs toubiens
Quelques retombées du Magal dans Touba et ailleurs :
Le Magal, une forte affluence vers Touba de plusieurs millions de personnes vide un bon nombre de contrées du pays de leurs populations dont Dakar où le commerce en centre ville est la plupart du temps mené par les mourides. Et c’est au chapitre des incidences économiques que beaucoup d’analystes et autres chercheurs considèrent le conclave. Les universitaires de Bambey parlent d’une manne financière qui s’y déverse : « Le Magal de Touba génère près de 250 milliards de francs CFA». Constat d’un dynamisme corroboré par l’étude de Moubarck Lo : « En 2011, quand on avait fait l’étude, on a remarqué que 70% du chiffre d’affaires des commerçants à Touba était réalisé durant le magal ». Le commerce toubien connait donc une forte demande en période de Magal qui mérite l’aménagement de stratégies consolidantes : «82% de l’échantillon, parmi les commerces qui voient leur chiffre d’affaire augmenter, arrivent à satisfaire la demande supplémentaire. Le reste, c’est-à-dire les 18%, citent comme contraintes : la forte demande à laquelle ils ne peuvent pas faire face, les retards dans l’approvisionnement liés au transport (l’encombrement des rues à quelques jours du Magal limite l’approvisionnement des distributeurs), la rupture des produits chez les grossistes du fait de la forte demande, les retards de commandes».
-La parade des politiques alléchés par les diverses capacités de mobilisation
La massification par immigration, cette opération de haute voltige socio-démographique équivaudra t’elle à plus de poids politique, plus de moyens de pressions et justifications de la sollicitation étatique ou à une fin du khalifat tout puissant, une implosion? Quoiqu’on en dise la cité a su offrir des facilités d’insertion spatiale, sociale, professionnelle d’où un rush. Et le Magal tout comme les Magals annexes sont un moment important d’étalage de sa capacité de mobilisation pour certains dignitaires surtout ceux montants mais d’appréciation de la clientèle pour savoir s’orienter chez les politiques surtout que des études démontrent que les mourides sont les plus respectueux de l’injonction électorale ’’ndigueul’’ de leurs guides. Et vers 2008, avec plus de 600.000 hbts, aujourd’hui environ 1.500 000 hbts, deuxième ville sénégalaise, ce tenancier de destins sénégalais pourra t’il et devra t’il se complaire dans son statut d’extraterritorialité? Cette extraterritorialité est elle sécurisante pour la nation sénégalaise? Doit-elle connaître une fin ou se recadrer au contexte? N’allons nous pas vers une nouvelle macrocéphalie urbaine incontrôlable religieusement, vers un croisement sur place d’intérêts divergents? D’où une nécessaire immixtion voire prise en main de l’Etat, le déclin de la suprématie maraboutique zonale?
-Un rendez vous coutumier mais une curiosité à motivations multiples
Le Magal de Touba est un grand rendez vous du tourisme culturel sénégalais, nombreux sont les sites et dates cités dans son riche patrimoine culturel, constituant une attraction religieuse et touristique : «….culturale et cultuelle, attrait présent et passé» (Soleil, 2009), mais une fierté des résidants immigrants y compris : la grande mosquée de Touba, Mausolée de Cheikh Ahmadou Bamba, la grande bibliothèque de Touba d’une capacité de 200 000 ouvrages, les instituts al azar et l’université nouvelle, l’eau bénite ’’rahmaty’’, l’empreinte de la religion sur Touba et les toubiens, les nombreuses et somptueuses mosquées de quartier. La deuxième ville du Sénégal faite ville modèle de l’Unesco est singulière par son urbanisation rapide et la vie des communautés mourides, les marchés et places commerçantes, les dates et symboles références. Islam noir, tarikha du local, le mouridisme affiche à Touba les mausolées, les cimetières qui abritent des sénégalais de toutes provenances , la foire ou croisement commercial international, les écrits du guide « Khassaides », les articles souvenirs en audio où vidéos, les effigies des dignitaires, les bains de foule, les retrouvailles disciples guides et entre disciples pour renouveler les feuilles de route, l’ambiance des conférences et récitals du coran et des chants du cheikh « khassaides », les expositions de hizbut tarkhiya et de l’institut international de recherche sur le mouridisme (IIRM), les dégustations (berndé), le défilé des cortèges bigarrés, l’étalage des nouvelles tendances de la mode, les marchés contextualisés, spécialisés et généralistes…..
-Des opportunités de larcins et autres trafics
Si à Touba, l’immigration encouragée et le Magal constitue sans conteste l’un des moteurs de l’économie locale. Les fléaux dus à la massification et l’événementiel à Touba font légion. En effet, les autorités locales craignent une tentative de désacralisation de la cité car la foule constitue à la fois un coup et un confort pour Touba. Et comme le dit l’adage, la survenance de maux méconnus dans un espace donné est fort imputable à l’étranger : « au total 276 personnes ont été arrêtées par la police pour divers délits lors d’opérations de sécurisation précédant à Touba la célébration du grand Magal». C’est ainsi, que le troisième khalife de la confrérie mouride Abdoul Ahad, par une formule désormais célèbre, a justifié son autorisation décriée donnée aux services de sécurité d’investir la ville avec des chiens renifleurs.
A la suite du 3eme khalife, le 4eme Serigne Saliou et son entourage n’ont eu de cesse d’appeler au respect de la sacralité de la cité (wormal léne deukbi). Toutefois, l’ampleur du trafic de drogue surtout en temps de rassemblement n’y est pas un secret. Cette crainte de la désacralisation des lieux est d’autant plus fondée qu’avec un statut d’exterritorialité, les services de sécurité ne sont pas toujours libres d’agir à leur guise, sont déclarés absents de la périphérie d’où toutes les dérives des grandes villes sont aujourd’hui répertoriées à Touba. C’est ainsi que le dynamisme des marchés attirent des marchandes de chaire. Devenue une place financière, le braquage des services financiers y est connu : « Ainsi, le pôle Touba-Mbacké réunit 1279 personnes poursuivies soit 64% de la délinquance de la région de Diourbel; il s’agit essentiellement d’hommes jeunes et sénégalais, originaires de l’ensemble du Sénégal…la contrebande (reste) le levier principal de la transformation de la ville religieuse en pôle économique et financier fort.…
Cette activité de contrebande impliquant des réseaux transnationaux a profité du statut d’exterritorialité pour se développer …Les revenus de l’émigration internationale et la contrebande induisent une croissance économique qui rend la ville de Touba d’autant plus attractive pour la population délinquante. Elle y commet des vols mais surtout elle infiltre les réseaux du commerce illicite et introduit des produits prohibés (stupéfiants, armes, …) autres que les biens de consommation (thé, tissu, alcool, voiture, …) objets d’un trafic tacitement admis, sur lequel repose la richesse des grands commerçants de Touba » (IGAJ : inspection générale de l’administration judiciaire). L’irrespect des règles n’épargne non plus celles d’hygiène avec l’affluence surtout pendant les cérémonies religieuses, la demande croissante, le secteur délicat de l’alimentaire se voit infiltré par des prestataires de services sans éthique. C’est ainsi qu’en un moment tous les foyers de choléra partaient de Touba. Ainsi, la cité ralliée sait prendre des contours d’un cocktail explosif, avec des projectiles dépassant le territoire d’exterritorialité toubien d’où les dignitaires seraient favorables à plus d’Etat. Besoin d’Etat qui connait donc son paroxysme en temps de Magal.
Allons tous au Magal de Touba car le signifiant de même que le signifié en valent la peine mais en sachant que l’Eternel «AL BAQUY» qui ne connait pas d’incapacités, «AL QUADIR» est partout «ACH CHAHID», donc (Illimité dans le temps et dans l’espace).
P B Moussa Kane
Doctorant en développement-aménagement, UGB