Le mutisme ou, pire, la duplicité des intellectuels fait plus de tort à notre pays que l’inculture et l’ignorance des masses populaires analphabètes. Il est plus aisé et moins risqué de déverser notre colère sur ceux qui ont mordu, par méconnaissance et par innocence, à l’appât de la société du divertissement, du folklore et de l’immobilisme de l’esprit. Ces derniers peuvent en effet bénéficier de l’excuse de ne pas posséder tous les éléments épistémiques nécessaires à la compréhension des dynamiques géopolitiques à la base du retard de leur pays.
Lorsqu’ils entreprennent une démarche d’explications, celle-ci se heurte la plupart du temps à la conclusion du fatalisme religieux et à la résignation culturelle, deux boulets sociaux qui lient notre triste sort à la volonté divine. Une naïveté qu’exploitent allègrement les tenants du pouvoir depuis nos indépendances afin de se dédouaner lâchement de leurs responsabilités et maintenir le statu quo.
Qu’en est-il cependant de ceux qu’on appelle communément des intellectuels dans notre société? Une élite censée produire des savoirs, posséder un esprit critique et amener un éclairage objectif et scientifique sur les questions morales, politiques et culturelles les plus pressantes de la société.
Le constat est malheureusement amer. S’ils ne s’allient pas souvent avec le pouvoir politique en place pour cautionner et crédibiliser toutes les basses manœuvres de ce dernier, ils s’enferment dans un tour d’ivoire et ne s’en sortent que lorsque leurs intérêts personnels sont menacés. Une posture très stratégique et bien calculée pour éviter de se mettre à dos le pouvoir décisionnel et lorgner une éventuelle nomination à un poste juteux. Les actes posés et les positions adoptés concourent très souvent vers un seul et même objectif : obtenir une promotion personnelle.
L’opportunisme intellectuel
En moins de deux semaines et sur les deux plateaux de télévisions privées les plus écoutées du pays, nous avons vu le journaliste Cheikh Yerim Seck se livrer à une vraie plaidoirie du livre du président Macky Sall, Le Sénégal au coeur. Une véritable opération de service après-vente pour nous expliquer l’intérêt d’une telle œuvre au moment où les Sénégalais ont d’autres préoccupations que de s’épancher sur les origines familiales de notre président, sur ses états d’âmes personnels et sur ses querelles d’égo avec l’ancien président Abdoulaye Wade. On avait bien l’impression de voir le porte-parole de la présidence venu défendre son chef. Il l’auréole de politicien «trop fort» d’avoir réussi à anesthésier les velléités contestataires des anciens barons socialistes. Il oublie volontairement d’indiquer à quel prix cette «prouesse politique» s’est réalisée.
Comme d’autres «bons clients» des programmeurs d’émissions qui s’affabulent de titres pompeux de sociologues, politologues, etc. ces intellectuels télévisuels, avec une assurance déconcertante, nous livrent des observations faussement objectives. Tout dans le discours suinte la partisanerie politique et un objectif bien planifié de livrer un message codé tendant à brouiller les cartes des électeurs moins avertis. Il suffit de surveiller attentivement leurs différentes sorties médiatiques pour voir comment ils finissent toujours par dériver dans le griotisme intellectuel et les appels du pied sournois au pouvoir.
La critique que fait Aymeric Caron des «philosophes télévisuels» dans Utopia XXI s’applique bien à eux : « Ils peuvent compter pour leur promotion, sur la complicité de journalistes groupies ou cyniques qui savent par ailleurs que ces prétendus philosophes n’ont aucune velléité révolutionnaire et qu’ils ne les menacent donc en rien.»
Ainsi, vous ne les verrez jamais critiquer la médiocrité des journalistes, la subjectivité dans l’analyse de ces derniers et l’absence de rigueur dans l’exercice de leur profession. C’est tout un système malsain et diabolique, aux ramifications multiples, qui n’a d’yeux que pour l’argent, le pouvoir et le prestige. Le sort du peuple qui trime dans les bas-fonds de la misère et de la privation l’importe peu malgré le discours de neutralité et d’objectivité de façade.
Vide universitaire
Dans un contexte préélectoral assez particulier, les universitaires qui ont pris des positions fermes et claires sur des enjeux importants du fonctionnement de notre peuple peuvent être comptés sur le bout des doigts? Le franc CFA, notre relation de dépendance et d’asservissement avec la France, la gestion de nos ressources naturelles, le surendettement chronique de l’État, l’enseignement de nos langues nationales, la révision des contenus académiques, etc.
Ces sujets sérieux sur lesquels un minimum de connaissances est nécessaire n’interpellent quasiment que les politiciens dont la prise de parole des uns et des autres dépend très souvent de leurs ambitions à arriver au pouvoir ou de s’y maintenir. Une forme d’autocensure semble s’installer au niveau des universitaires sur ces questions alors qu’ils sont très audibles lorsqu’il s’agit de brandir des doléances pour l’amélioration de leur situation financière personnelle.
Ils refusent de critiquer le système tel qu’il fonctionne actuellement alors qu’ils savent pertinemment qu’il n’est pas viable et qu’il ne vise qu’à nous maintenir dans une pauvreté permanente. C’est ce qu’Alain Deneault dans La médiocratie relève en parlant de la grande responsabilité des universitaires sur les maux de notre époque : «Pour la plupart coupés du monde, spécialistes de sous-domaines infinitésimaux, devenus incapables de conscience critique, avalés par les tactiques d’avancement de carrière et enfermés dans une appartenance collégiale qui a les allures de «tribus», leur présence se découvre sitôt que l’on sonde les raisons de nos périls collectifs.»
Vous demandez-vous d’ailleurs ce que le peuple sénégalais tire réellement des résultats de leurs publications scientifiques, de leurs recherches universitaires et des voyages d’études effectués aux frais de l’argent public?
Le mal de notre système éducatif
Et si notre malheur venait en partie de notre système éducatif chargé de former l’élite intellectuelle du pays? L’éducation va au-delà des aspirations purement utilitaristes pour exercer ultimement une profession avec la garantie d’un salaire mensuel. Son objectif final doit être de façonner des individus dont le sens critique est finement aiguisé, des citoyens (surtout des élus) capables de jauger pleinement chaque décision devant l’impact que celle-ci aura sur la vie actuelle et future de leurs semblables.
Notre système éducatif ne nous y prépare pas adéquatement.
Les disciplines enseignées dans les sciences humaines telles que la littérature, l’histoire et la philosophie ne sont très souvent aucunement enracinées dans une perspective d’affirmation identitaire et de culte de la patrie. Des contenus pédagogiques qui font l’apologie du maître colonisateur et, implicitement, nous rabaisse et nous rappelle constamment notre infériorité historique. Une histoire écrite à l’encre de la détestation de soi, de l’autoflagellation et la proclamation de l’épopée du bourreau et la gloire de ses célèbres personnages historiques. Il va ainsi sans dire que les esprits formés seront davantage disposés à la soumission, à la docilité et à l’acceptation fataliste de leur condition. Ils se font à peine entendre quand ils crient leur désarroi entre quatre murs.
Que des universitaires et des experts s’époumonent pour défendre notre maintien dans la zone franc et le maintien de notre asservissement ne doit guère vous étonner. Le mal est suffisamment bien ancré dans les esprits.
Lamine Niang
nianlamine@hotmail.com
Lorsqu’ils entreprennent une démarche d’explications, celle-ci se heurte la plupart du temps à la conclusion du fatalisme religieux et à la résignation culturelle, deux boulets sociaux qui lient notre triste sort à la volonté divine. Une naïveté qu’exploitent allègrement les tenants du pouvoir depuis nos indépendances afin de se dédouaner lâchement de leurs responsabilités et maintenir le statu quo.
Qu’en est-il cependant de ceux qu’on appelle communément des intellectuels dans notre société? Une élite censée produire des savoirs, posséder un esprit critique et amener un éclairage objectif et scientifique sur les questions morales, politiques et culturelles les plus pressantes de la société.
Le constat est malheureusement amer. S’ils ne s’allient pas souvent avec le pouvoir politique en place pour cautionner et crédibiliser toutes les basses manœuvres de ce dernier, ils s’enferment dans un tour d’ivoire et ne s’en sortent que lorsque leurs intérêts personnels sont menacés. Une posture très stratégique et bien calculée pour éviter de se mettre à dos le pouvoir décisionnel et lorgner une éventuelle nomination à un poste juteux. Les actes posés et les positions adoptés concourent très souvent vers un seul et même objectif : obtenir une promotion personnelle.
L’opportunisme intellectuel
En moins de deux semaines et sur les deux plateaux de télévisions privées les plus écoutées du pays, nous avons vu le journaliste Cheikh Yerim Seck se livrer à une vraie plaidoirie du livre du président Macky Sall, Le Sénégal au coeur. Une véritable opération de service après-vente pour nous expliquer l’intérêt d’une telle œuvre au moment où les Sénégalais ont d’autres préoccupations que de s’épancher sur les origines familiales de notre président, sur ses états d’âmes personnels et sur ses querelles d’égo avec l’ancien président Abdoulaye Wade. On avait bien l’impression de voir le porte-parole de la présidence venu défendre son chef. Il l’auréole de politicien «trop fort» d’avoir réussi à anesthésier les velléités contestataires des anciens barons socialistes. Il oublie volontairement d’indiquer à quel prix cette «prouesse politique» s’est réalisée.
Comme d’autres «bons clients» des programmeurs d’émissions qui s’affabulent de titres pompeux de sociologues, politologues, etc. ces intellectuels télévisuels, avec une assurance déconcertante, nous livrent des observations faussement objectives. Tout dans le discours suinte la partisanerie politique et un objectif bien planifié de livrer un message codé tendant à brouiller les cartes des électeurs moins avertis. Il suffit de surveiller attentivement leurs différentes sorties médiatiques pour voir comment ils finissent toujours par dériver dans le griotisme intellectuel et les appels du pied sournois au pouvoir.
La critique que fait Aymeric Caron des «philosophes télévisuels» dans Utopia XXI s’applique bien à eux : « Ils peuvent compter pour leur promotion, sur la complicité de journalistes groupies ou cyniques qui savent par ailleurs que ces prétendus philosophes n’ont aucune velléité révolutionnaire et qu’ils ne les menacent donc en rien.»
Ainsi, vous ne les verrez jamais critiquer la médiocrité des journalistes, la subjectivité dans l’analyse de ces derniers et l’absence de rigueur dans l’exercice de leur profession. C’est tout un système malsain et diabolique, aux ramifications multiples, qui n’a d’yeux que pour l’argent, le pouvoir et le prestige. Le sort du peuple qui trime dans les bas-fonds de la misère et de la privation l’importe peu malgré le discours de neutralité et d’objectivité de façade.
Vide universitaire
Dans un contexte préélectoral assez particulier, les universitaires qui ont pris des positions fermes et claires sur des enjeux importants du fonctionnement de notre peuple peuvent être comptés sur le bout des doigts? Le franc CFA, notre relation de dépendance et d’asservissement avec la France, la gestion de nos ressources naturelles, le surendettement chronique de l’État, l’enseignement de nos langues nationales, la révision des contenus académiques, etc.
Ces sujets sérieux sur lesquels un minimum de connaissances est nécessaire n’interpellent quasiment que les politiciens dont la prise de parole des uns et des autres dépend très souvent de leurs ambitions à arriver au pouvoir ou de s’y maintenir. Une forme d’autocensure semble s’installer au niveau des universitaires sur ces questions alors qu’ils sont très audibles lorsqu’il s’agit de brandir des doléances pour l’amélioration de leur situation financière personnelle.
Ils refusent de critiquer le système tel qu’il fonctionne actuellement alors qu’ils savent pertinemment qu’il n’est pas viable et qu’il ne vise qu’à nous maintenir dans une pauvreté permanente. C’est ce qu’Alain Deneault dans La médiocratie relève en parlant de la grande responsabilité des universitaires sur les maux de notre époque : «Pour la plupart coupés du monde, spécialistes de sous-domaines infinitésimaux, devenus incapables de conscience critique, avalés par les tactiques d’avancement de carrière et enfermés dans une appartenance collégiale qui a les allures de «tribus», leur présence se découvre sitôt que l’on sonde les raisons de nos périls collectifs.»
Vous demandez-vous d’ailleurs ce que le peuple sénégalais tire réellement des résultats de leurs publications scientifiques, de leurs recherches universitaires et des voyages d’études effectués aux frais de l’argent public?
Le mal de notre système éducatif
Et si notre malheur venait en partie de notre système éducatif chargé de former l’élite intellectuelle du pays? L’éducation va au-delà des aspirations purement utilitaristes pour exercer ultimement une profession avec la garantie d’un salaire mensuel. Son objectif final doit être de façonner des individus dont le sens critique est finement aiguisé, des citoyens (surtout des élus) capables de jauger pleinement chaque décision devant l’impact que celle-ci aura sur la vie actuelle et future de leurs semblables.
Notre système éducatif ne nous y prépare pas adéquatement.
Les disciplines enseignées dans les sciences humaines telles que la littérature, l’histoire et la philosophie ne sont très souvent aucunement enracinées dans une perspective d’affirmation identitaire et de culte de la patrie. Des contenus pédagogiques qui font l’apologie du maître colonisateur et, implicitement, nous rabaisse et nous rappelle constamment notre infériorité historique. Une histoire écrite à l’encre de la détestation de soi, de l’autoflagellation et la proclamation de l’épopée du bourreau et la gloire de ses célèbres personnages historiques. Il va ainsi sans dire que les esprits formés seront davantage disposés à la soumission, à la docilité et à l’acceptation fataliste de leur condition. Ils se font à peine entendre quand ils crient leur désarroi entre quatre murs.
Que des universitaires et des experts s’époumonent pour défendre notre maintien dans la zone franc et le maintien de notre asservissement ne doit guère vous étonner. Le mal est suffisamment bien ancré dans les esprits.
Lamine Niang
nianlamine@hotmail.com