Les enseignants, à l’image de tous les agents de l’Etat qui reçoivent des rappels de salaires ou d’indemnités, constatent souvent deux faits :
** une (très) forte imposition au titre du mois de perception du rappel ;
** une augmentation de l’impôt sur le revenu (IR) sur la période postérieure et, ce, jusqu’au mois de décembre de cette année.
Outre, le fait de fausser les prévisions du bénéficiaire (qui a longtemps attendu ce revenu exceptionnel), il y’a un sentiment d’injustice voire d’arnaque amplifié par un manque d’explications techniques et crédibles. Aussi, la « surimposition des rappels de salaires » s’est-elle greffée comme une revendication additionnelle pour les syndicats d’enseignants au point de constituer un sujet qui alimente bien des fantasmes.
Pourtant, l’imposition de ces sommes est bien conforme à la loi.
Pourquoi l’imposition des rappels ?
C’est l’article 47 du Code général des Impôts (CGI) qui « établi, au profit du budget de l’État, un impôt annuel unique sur les revenus de source sénégalaise et/ou étrangère des personnes physiques domiciliées au Sénégal ou titulaires de revenus de source sénégalaise ».
L’article 48 précise quel’impôt sur le revenu porte sur l’ensemble de leurs revenus, de source sénégalaise comme de source étrangère ».
Les rappels de salaires ou d’indemnités constituent,pour le fonctionnaire,des revenus dont la perception a été différée pour diverses raisons, principalement le traitement tardif de sa situation administrative.
Ces sommes sont imposées dans la catégorie des « Traitement et salaires, pensions et rentes viagères ». Dans cadre, le CGI (art. 164 et 165) préciseque « l’impôt sur le revenu est dû par les bénéficiaires des revenus porte chaque année sur les traitements publics et privés, soldes, indemnités et primes de toutes natures, émoluments, salaires et avantages en argent ou en nature payés ou accordés aux intéressés au cours de la même année».
Dès lors, l’imposition des rappels de salaires ou d’indemnités des agents de l’Etat est justifié en droit et en fait et ne saurait être un point crédible de revendication des syndicats de fonctionnaires car leur rémunération, elle-même, provient de la somme des impôts et taxes collectée par ailleurs sur les personnes et autres activités.
Evidemment, les syndicats d’enseignant ne revendiquent pas une non-imposition mais l’annulation des surimpositions.
Pourquoi la « surimposition » des rappels ?
En tant que revenu imposable, les rappels de salaires ou d’indemnités se présentent à la pratique comme des cadeaux fiscalement empoisonnés pour ses bénéficiaires. En effet, au Sénégal, l’impôt sur le revenu est progressif. Cela signifie que la charge fiscale (l’impôt) augmente de manière graduelle à mesure que les revenus progressent (accidentellement ou régulièrement) y compris lorsque le contribuable change de tranche.
Un agent de l’Etat (enseignant…) avec 3 millions FCFA de revenu annuel imposable est soumis aux trois premières tranches du barème de l’IR (cf. article 173/CGI). S’il bénéficie d’un « rappels de salaires ou d’indemnités», il basculera dans la quatrième ou cinquième tranche supérieure. Son taux effectif d’imposition augmentera en conséquence. Ainsi, il se retrouvera à devoir payer plus d’impôt que le gain supplémentaire constitué par le « rappel de salaires ou d’indemnités».
Concrètement, le fonctionnairequi bénéficie d’un « rappel de salaires ou d’indemnités» théorique de 3.000.000 FCFA recevra effectivement un montant moins important, la différence étant appréhendée par le prélèvement fiscal. Pire, dans certaines hypothèses (récurrentes) cet agent, bénéficiaire du « rappel de salaires ou d’indemnités», peut se retrouver avec un surcroît d’imposition plus important.
Cette situation, appelée effet de seuils, est à l’origine de la colère légitime des enseignants. Elle survient quand un revenu supplémentaire engendre un impôt encore plus élevé. La progressivité de l’impôt peut provoquer un saut brutal d’imposition lorsqu’on est juste au-dessus de la limite d’exonération ou d’un taux moins élevé.
Quelles solutions opérationnelles ?
Il est heureux que le Ministère des Finances et du Budget ait mis en place un comité regroupant toutes les parties prenantes pour trouver des solutions supportables sur le plan social pour le paiement de l’impôt relatif aux revenus exceptionnels de tous les agents de l’Etat.
Sans ravir la politesse aux acteurs impliqués dans le traitement de ce dossier, il est utile de verser à la réflexion notre contribution, étant entendu que nous avons été approché, en tant qu’ancien syndicaliste, par des camarades qui voulaient comprendre ces phénomènes.
Il nous plait de signaler qu’une partie des solutions se trouve déjà dans le CGI.En effet, l’article 171 du CGI précise que « lorsqu’au cours d’une année un contribuable a réalisé un revenu exceptionnel tel que la plus-value d’un fonds de commerce et que le montant de ce revenu exceptionnel dépasse la moyenne des revenus nets d’après lesquels ce contribuable a été soumis à l’impôt au titre des trois (3) dernières années, l’intéressé peut demander qu’il soit réparti, pour l’établissement de l’impôt, sur l’année de sa réalisation et les années antérieures non couvertes par la prescription (...). Cette demande doit être adressée au service chargé de l’assiette des impôts au plus tard le 30 avril de l’année suivant celle au cours de laquelle le revenu a été réalisé (...).
La mise en œuvre de cette disposition commande la mise en place d’un dispositif adhoc dédié spécifiquement aux enseignants. Il peut être institué au sein de la Direction des services fiscaux (DSF), en particulier au niveau du Bureau de la Gestion et du Contentieux chargé d'assurer le suivi de l'instruction des demandes de remboursement d'impôts, une sorte de guichet unique où seront déposées toutes les demandes d’étalement des enseignants. Il s’agit de reproduire un schéma qui existait avant la réorganisation des services en 2002puisqu’avant cette date, c’est le CSF de Dakar-Plateau, qui centralisait toutes les demandes de remboursement des agents de l’Etat quel que soit leur lieu d’affectation. L’avantage d’une telle solution, outre la célérité, est de proposer un traitement uniforme et une meilleure appropriation des préoccupations de la hiérarchie.
Les solutions techniques sont également à trouver dans l’adaptation des outils informatiques de gestion de la paie utilisés par les services du Ministère des Finances. Un paramétrage conforme à la loi devrait permettre à la Direction chargée de la Solde, compétente pour déterminer la base imposable des agents de l’Etat et pour opérer les retenues d’impôts dues par ces derniers, de veiller à une bonne application de la loi fiscale pour garantir son caractère équitable entre tous les contribuables.
Conclusion
Si la question de l’imposition des « rappels de salaires ou d’indemnités» des enseignants fâchent autant, c’est à cause de celle sous-jacente relative à l’imposition des revenus (salariaux et extra-salariaux) des agents publics, notamment les avantages en nature ou en argent (véhicules et logements de fonction, fonds commun…) qui leurs sont octroyés.
Il nous semble que l’obligation d’une déclaration annuelle de revenus doit être consacrée pour tout bénéficiaire de tels avantages afin d’assurer l’égalité des citoyens devant l’impôt. Certes, déclarer son patrimoine est important dans une perspective de transparence, mais payer ses impôts est plus que fondamental dans la construction d’une république où le pacte fiscal doit être le ciment du pacte social.
La non-révision du régime indemnitaire des fonctionnaires sénégalais, au cœur des débats revendicatifs depuis près de cinq ans, ne doit pas être, non plus, un prétexte pour les syndicats de fantasmer et de verser dans les amalgames. Tout en poursuivant cette exigence, la revendication doit rester crédible à travers un argumentaire documenté.
Elimane POUYE
Ancien secrétaire général du Syndicat Autonome des Agents des Impôts et des Domaines (SAID)
(pouyeelimane@yahoo.fr )