La dernière fois qu’il a aperçu son fils, en cette matinée d’avril 2021, Teklay Tiku a tout de suite su qu’il ne le reverrait jamais. Son benjamin, Russom, âgé de 25 ans, venait d’être raflé devant la ferme familiale par des soldats érythréens venus mener la guerre au Tigré, dans le nord de l’Ethiopie, en appui du gouvernement fédéral. Cette guerre civile, allumée en novembre 2020 entre la région rebelle du Tigré et le pouvoir du premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed, avec l’appui de l’Erythrée, battait son plein.
Embarqué de force à l’arrière d’un camion déjà plein de jeunes Tigréens de son âge, enlevés comme lui, Russom a été emmené vers l’Erythrée. Depuis, sa famille n’a plus jamais reçu la moindre nouvelle de lui. Depuis les contreforts de Kerseber, un village montagneux du nord du Tigré, Teklay Tiku, 71 ans, a longtemps cessé de se faire des illusions sur une guerre qui l’a dépossédé de tout ce qu’il avait de plus précieux : son fils Russom, dont il lui reste seulement une photo d’identité écornée ; sa propriété et, enfin, ses idéaux.
Sur la seule porte de sa ferme qui tienne encore debout, le vieil homme désigne un autocollant abîmé sur lequel est inscrit « Finalement en paix », décoré aux couleurs des drapeaux érythréen et éthiopien. Il l’avait collé là en 2018, après le rapprochement entre les deux pays qui devait signer la fin d’un conflit frontalier vieux de vingt ans. « Nous étions soulagés d’avoir enfin la paix avec l’Erythrée, nous y croyions », se souvient-il.
Sauf que cette « paix historique » s’est rapidement transformée en une alliance entre Abiy Ahmed et son homologue, le président érythréen, Isaias Afwerki, qui ont uni leurs forces pour partir à l’assaut tout à la fois du Tigré, des Tigréens et de leur parti, le Front populaire de libération du Tigré (TPLF). (Le Monde)