Le 23 février, le président de la Guinée Bissau, Umaro Sissoco Embalo, décrète que les élections présidentielle et législatives se dérouleront le 23 novembre contrairement à la date initialement annoncée du 30 novembre. Cette décision intervient dans un contexte ou la date de la fin du mandat du président Embalo fait depuis plusieurs semaines l'objet de contestations. L'opposition estime que celui-ci arrivait à échéance le 27 février car il avait débuté le 27 février 2020 qui a appelé dans un communiqué à la " la paralysie totale" du pays le même jour.
Pour ne rien arranger, le 3 mars, le président déclare sa candidature. Après avoir annoncé ne pas vouloir briguer un second mandat. Le 7 mars, il convoque les partis politiques du pays à une concertation pour tenter de trouver une sortie de crise. La rencontre a été boycottée par la principale coalition d'opposition, l'Alliance populaire inclusive. A la tête de cette coalition, on trouve deux anciens premiers ministres en l'occurrence Domingos Simões Pereira et Nuno Gomes Nabiam.
Une présidence marquée par l’instabilité
En guise de rappel, depuis l'élection de Umaro Sissoco Embalo, la Guinée Bissau a traversé beaucoup de crises politiques et institutionnelles. Cela débute au lendemain de l'élection présidentielle de novembre 2019. Le candidat du Parti africain de l'indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (PAIGC) et principal opposant au président actuel, Domingo Simoes Pereira, avait refusé de reconnaître la victoire de son adversaire déclaré élu par la commission nationale électorale . Ce dernier avait déposé un recours devant la Cour suprême et avait mis plusieurs mois avant de se prononcer en faveur de son rival, le 4 septembre 2020. Mais entre-temps et avant même la validation de l'élection par la Cour Suprême, M. Embalo avait prêté serment pour un mandat de cinq ans le 27 février 2020.
Le 1er février 2022, le président échappe de peu à une tentative de coup d'État avant que le locataire du palais lui-même déclare lors d'un appel téléphonique avec la presse que “ tout était sous contrôle.” Le 16 mai 2022, le président annonce la dissolution de l'Assemblée nationale populaire et annonce des élections anticipées pour le 18 décembre 2022 avant de le reporter au 4 juin 2023.
Ces législatives de juin 2023 sont remportées par la principale coalition de l'opposition menée par le PAIGC. Mais dans la nuit du 30 novembre au 1er décembre 2023, de nombreux troubles éclatent entre des éléments de la garde nationale, une unité de l'armée et les forces gouvernementales qui font deux morts et six blessés graves.
Le président va qualifier ces troubles de “ tentative de coup d'État” et en réponse, il dissout à nouveau le parlement le 4 décembre 2023 et fixe la tenue d’élections législatives anticipées pour le 24 novembre 2024.
Finalement ces élections ont été reportées sine die par un décret présidentiel pour des raisons techniques et financières.
Une démocratie et des libertés fondamentales menacées : les OSC africaines montent au créneau
Nous organisations africaines de la société civile ouest africaines et pour la plupart, membres du Réseau de solidarité démocratique ouest-africain (WADEMOS), en tant que réseau attachée aux valeurs démocratiques et à l'état de droit condamnons avec véhémence tous les tripatouillages constitutionnels et institutionnels en Guinée Bissau et ailleurs en Afrique pour seul but de rester au pouvoir. Tout acte de gouvernance démocratique posé doit l’être dans le respect de la constitution bissau-guinéenne du 15 mai 2020.
L’expulsion dans la nuit du 1er mars de la mission de médiation de la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (Cedeao) qui devait rencontrer toutes les parties prenantes, n’est pas de nature à faciliter une sortie heureuse à cette crise latente en Guinée-Bissau. Nous condamnons fermement cet acte du président Embaló, qui viole le Protocole additionnel de la CEDEAO sur la démocratie et la bonne gouvernance.
En dépit de cette fin abrupte, la délégation signale son inquiétude grandissante concernant la situation politique du pays et exhorte « toutes les parties intéressées et tous les citoyens à maintenir le calme et préserver la paix et la stabilité dans le pays.”
En matière de liberté d'expression, le rapport 2024 de Reporters sans frontières (RSF) classe la Guinée Bissau au 92è rang alors qu'elle occupait la 78è place en 2023. Une régression en un an qui illustre la détérioration de la situation de la liberté de la presse dans le pays. Cette régression est en grande partie liée aux pressions politiques dont les professionnels des médias font l’objet. Le 20 novembre 2024, les journalistes Carabulai Cassama de Capital FM et Turé da Silva, en ont fait les frais en étant victimes de violences policières.
A l'approche des élections, qui sont des moments de tension politique, les professionnels de médias sont souvent pris pour cibles par tous les camps. Nous, organisations de la société civile, rappelons aux autorités bissau-guinéennes de respecter la liberté de presse et à mettre en place toutes les conditions nécessaires permettant aux journalistes de bien assurer leur mission d’information.
En complément des actions de la CEDEAO, nous invitons la Commission de l’Union africaine à se saisir de la situation en Guinée-Bissau et à dépêcher une mission d’information et de médiation, conformément à son mandat.
En définitive, nous appelons donc toutes les parties prenantes, c'est-à-dire politiques et acteurs de la société civile, à se réunir autour de la table pour dialoguer et trouver une issue favorable à la crise au seul bénéfice des populations bissau-guinéennes.
Fait à dakar le 17/03/2025
Signataires:
AfricTivistes, Afrikajom Center, Wademos, Forum de la société civile du Cap-Vert (FORUM CV), Front Citoyen Togo Debout, Novation Internationale, Tournons la Page, Togo Yiaga Africa, Article 19 Afrique de l’Ouest, Mouvement Y en a marre, Association Villageois 2.0