Cent ans après la mort de Lénine, fondateur du parti Bolchevik qui a dirigé la révolution matrice des révolutions nationales des classes laborieuses du XXéme siècle et partant de celles à venir du XXIéme siècle, il est courant d’entendre dire à gauche, jamais à droite encore moins à l’extrême droite fasciste, des échiquiers politiques que « les partis sont une réalité historique dépassée, ils ne sont plus nécessaires ». Cette chimère trompeuse nous vient des USA, pays impérialiste dans lequel le bipartisme « républicain et démocrate » fonctionne comme soupape protectrice de l’État bourgeois en tuant toute possibilité d’émergence d’un parti révolutionnaire des classes laborieuses.
Ainsi tout en maintenant le bipartisme « droite gauche » du capital régnant sur l’État, la pensée bourgeoise fait la promotion des revendications individuelles et sectorielles et leur prise en charge par le plaidoyer des avocats ou des ONG. Le lobbying qui est le mode d’influence des actionnaires bourgeois sur les décisions politiques des Exécutifs et/ou des Parlements est ainsi préconisé comme le principal moyen pour les individus citoyens et les groupes sociaux ou culturels (minorités racialisées, genres, handicapés, catégories professionnelles, religieuses, etc) d’obtenir la satisfaction de leurs doléances. Chacun peut faire valoir ses droits individuels, mais les droits collectifs sont sectoriels et surtout pas globaux. Ce faisant, il s’agit là tout simplement d’éviter que les classes laborieuses majoritaires dans tous les pays ne soient en capacité de s’attaquer collectivement à la source, à la cause de l’exploitation de l’humain par l’humain, à savoir la propriété privée des moyens de production et d’échanges et de poser la question politique fondamentale de la propriété collective socialiste de ceux-ci et donc de l’expropriation des capitalistes.
Les syndicats et les partis nés des luttes de classes des travailleurs sont ainsi confinés au « dialogue social entrepreneurial » qui n’est en réalité qu’une palabre qui soumet les travailleurs au bon vouloir du patron, ce qui tend à les disqualifier aux yeux de la masse des travailleurs de plus en plus précaires et paupérisés avec le déclin de « la société de consommation post-industrielle » à crédit. La seconde moitié du XXéme siècle a été caractérisée à l’instigation des thinks thanks impérialistes par cette déconstruction de toutes les conquêtes théoriques et pratiques du mouvement communiste depuis Marx-Engels jusqu’à la Révolution d’Octobre 1917 et l’édification du socialisme en URSS et sa victoire contre le projet hégémonique mondial du fascisme nazi.
Les capitulations et reniements idéologiques
Face à cette offensive idéologique anti-communiste de la bourgeoisie, les communistes des pays impérialistes sous prétexte de « particularisme national » ont succombé en déviant vers « l’eurocommunisme » en Europe et aux USA vers le « wokisme », ces formes idéologiques chauvines social-démocrates anti-soviétiques. L’opportunisme de droite a inventé le pléonasme qu’est « le socialisme démocratique » pour nier que tout État est une dictature de la classe économiquement dominante et que les formes démocratiques de l’exercice du pouvoir politique sont déterminées par le rapport des forces dans la lutte des classes et la lutte des peuples contre le joug impérialiste. Et que pour ne pas perdre son pouvoir d’État en tant que classe sociale, la bourgeoisie abandonne toute forme démocratique pour recourir à la forme terroriste de sa dictature de classe qu’est le fascisme.
Ces réformistes issus du mouvement communiste sont donc tombés dans le piège bourgeois en confondant délibérément fond et forme du pouvoir d’État.
Ce piège bourgeois a moins bien fonctionné dans les mouvements de libération anti-coloniaux et anti-néocoloniaux en Asie, en Amérique du sud et en Afrique. En Chine, Corée du nord, Vietnam, Cuba, les partis communistes ont su partir de l’analyse concrète de leur réalité nationale pour prendre la tête du mouvement indépendantiste et vaincre à la fois l’impérialisme et ses suppôts locaux de la bourgeoisie et la petite bourgeoisie compradore. En Afrique il y a eu des expériences avec des réalisations importantes mais globalement vaincues comme celles du PAIGC d’Amilcar Cabral, l’UPC de Um Nyobé/Moumié/Osendé Afana/Ouandié, le PCSA sud-africain, le RDA de Sékou Touré/Saïfoulaye Diallo/Modibo Keita/Ouezzin Coulibaly, le PAI, etc.
Dans ces expériences révolutionnaires anti-coloniales, anti-néocoloniales et anti-féodales, les communistes ont su forger une liaison dialectique entre le parti et le front. Le parti représentant la classe ouvrière alliée à la classe des paysans, éleveurs et pêcheurs pauvres et le front rassemblant toutes les classes sociales du pays contre les classes bourgeoisies et féodales compradores représentant le colonialisme et/ou le néocolonialisme.
Selon le niveau de développement de la conscience des classes sociales, la frontière entre parti et front est momentanément ténue, voire effacée. Mais dans ce cas, il est nécessaire de se doter d’un parti-front ou d’un front-parti comme outil pour résoudre la contradiction principale tout en levant au sein du peuple les obstacles émanant des contradictions secondaires du moment.
Dans tous les cas, il faut deux jambes et pieds pour marcher vers la libération nationale et l’émancipation sociale. En Chine le parti et le front se sont alliés et combattus selon les périodes alors qu’à Cuba le parti a intégré tous les groupes révolutionnaires après la prise du pouvoir. Il n’y a donc pas de recette unique en dehors d’une dialectique entre parti et front dont l’évolution dépend des réalités nationales des forces de classes en présence.
Actuellement de nouvelles expériences souverainistes sont en cours dans les pays de l’ALBA en Amérique du sud et l’AES ainsi qu’au Sénégal avec le parti-front Pastef en Afrique. Même si presque partout la question de la réunification ou de la reconstruction des partis communistes est posée, toutes ces expériences à différents degrés sont confrontées à la question de quelle dialectique entre parti et front ? Dans l’AES tout comme au Sénégal, la recomposition politique ne va-t-elle pas balayée les fronts et partis néocoloniaux qui ont gouverné jusqu’ici et faire émerger de nouveaux partis et fronts ?
La justesse de la pensée léniniste
Un des apports majeurs de Lénine est d’avoir défini le parti comme l’état-major politique permettant de matérialiser le principe cardinal « pas de mouvement révolutionnaire sans théorie révolutionnaire ». Pour ce faire, Lénine précise que « le parti... proclame que sa tâche est d’aider dans cette lutte la classe ouvrière... en développant la conscience de classe des ouvriers, en concourant à leur organisation et en indiquant les objectifs et les buts de leur combat » ( « Exposé et commentaire du projet de programme du parti... » in Textes sur les syndicats, Ed. Du Progrès). Lénine précise que « ce point du programme est le plus important. C’est le point principal, parce qu’il montre ce que doivent être l’activité du parti qui défend les intérêts de la classe ouvrière et celle de tous les ouvriers conscients, il montre comment l’aspiration au socialisme, la volonté d’en finir avec l’éternelle exploitation de l’homme par l’homme doivent se rattacher au mouvement populaire engendré par les conditions d’existence que créent les grandes fabriques et usines » (idem). Il ajoute : « Par son activité, le parti doit seconder la lutte de classe des ouvriers. La tâche du parti n’est pas d’imaginer de toutes pièces des moyens inédits de venir en aide aux ouvriers, mais de s’associer à leur mouvement, d’y porter la lumière, d’aider les ouvriers et de représenter l’ensemble du mouvement ouvrier » (idem). Puis Lénine explique de quelle manière cette aide doit s’opérer en distinguant trois formes d’aide : la première forme d’aide consiste à « développer la conscience de classe des ouvriers », c’est-à-dire « la compréhension par ceux-ci du fait que pour améliorer leur sort et réaliser leur émancipation, il n’est d’autre moyen que de lutter contre la classe des capitalistes et des fabricants qui sont apparus avec les grandes fabriques et usines ». C’est ensuite « la compréhension du fait que les intérêts de tous ces ouvriers constituent une même classe, distincte de toutes les autres classes de la société ». C’est enfin, « la compréhension du fait, que pour parvenir à leurs fins, les ouvriers doivent nécessairement chercher à influer sur les affaires de l’État, comme l’ont fait et continuent de le faire les grands propriétaires fonciers et les capitalistes » (idem).
Lénine décrit le contenu de cette aide comme suit : « L’aide doit consister à leur indiquer les besoins vitaux essentiels pour la satisfaction desquels ils doivent lutter à analyser les causes de l’aggravation particulière de la situation de telle ou telle catégorie d’ouvriers… Cette aide doit consister à formuler avec plus de précision et de netteté les revendications des ouvriers et les énoncer publiquement, à choisir le meilleur moment pour résister et la méthode de lutte, à analyser la situation et les forces des deux parties en présence, à examiner s’il ne serait pas préférable de recourir à une autre méthode de lutte, etc » (idem). La « seconde forme d’aide doit consister, ainsi qu’il est dit dans le programme, à concourir à l’organisation des ouvriers », notamment des leaders dirigeants des luttes populaires, donc l’avant-garde, dans le parti et dans les organisations syndicales, associatives des masses populaires. Enfin, la troisième forme d’aide consiste à « indiquer le but véritable de la lutte, c’est-à-dire d’expliquer aux ouvriers en quoi consiste l’exploitation qui conduit inévitablement les ouvriers à engager une lutte de classe contre les capitalistes, dans quelles conditions se déroule cette lutte, quel est son objectif final » (idem).
De façon général dans tous les pays, et surtout dans les conditions de pays où la classe ouvrière est minoritaire, la fusion du socialisme scientifique avec l’ensemble des classes laborieuses s’opère aussi par cette même aide politique aux paysans, aux éleveurs, aux pêcheurs, aux travailleurs de l’informel, aux artisans, aux petits commerçants, à la petite bourgeoisie, etc.
En résumé, le parti de la classe travailleuse est le produit du travail politique pour « développer la conscience de classe de ces derniers en soutenant le combat qu’ils mènent pour leurs besoins vitaux » (idem).
C’est ce travail politique permanent qui a été abandonné durant toutes ces années où a été répété à gauche, notamment parmi les communistes que les partis sont dépassés, que le mouvement éparpillé social, démocratique et aujourd’hui écologique pouvait gagner presque spontanément, que le plaidoyer et le lobbying suffisent et que les luttes individuelles et sectorielles sont plus efficaces que la lutte globale de classe ou que ces luttes isolées allaient spontanément déboucher sur une amélioration globale et une soi-disant « humanisation du capitalisme ».
Guide pour l’action révolutionnaire
Tant que l’existence de l’URSS et puis les Démocraties populaires à l’est du sous-continent européen puis celles socialistes dans les ex-colonies du Sud constituaient une menace pour sa survie, le capitalisme impérialiste a été contraint à des concessions aux luttes de classes des travailleurs et aux luttes de décolonisation des colonies. Ces concessions ont pris la forme de la « société de consommation » à crédit et des indépendances formelles.
Mais force est de constater que l’époque des concessions est aujourd’hui révolue. Le capital en crise avide de plus-value et du maximum de profit impose le libéralisme, se fascise et se lance dans des guerres pour préserver sa domination séculaire sur le monde. La stratégie des « guerres des cultures, des civilisations, des religions » qui sème le chaos à travers la planète est sa dernière trouvaille pour tenter en vain de juguler la baisse tendancielle du taux de profit et se maintenir artificiellement alors qu’il est miné par la contradiction entre d’une part la socialisation mondialisée de la production et et des échanges et d’autre part l’appropriation privée des profits par les actionnaires du capital financier.
À l’occasion du centenaire du décès de Lénine, on doit relire « Que faire ? » où il théorise la nécessité d’un parti politique pour les classes laborieuses, en particulier la classe de ceux et celles qui vendent leur force de travail manuel et intellectuel contre un salaire, mais aussi un parti de la libération des peuples et minorités opprimés.
Pour Lénine, le parti communiste soutient bien sûr les luttes pour augmenter les salaires, baisser le temps de travail et réduire l’exploitation capitaliste. Le parti communiste soutient les luttes des paysans, éleveurs, pêcheurs, travailleurs de l’informel pauvres pour de meilleurs revenus. Cependant, le parti élève en plus la conscience citoyenne révolutionnaire du monde du travail sur les questions de la paix, des nationalités, de l’anti-racisme, de l’antifascisme, des rapports inégalitaires entre les peuples, de la double oppression des femmes, de l’environnement, de la liberté de la presse, des droits individuels et collectifs, des institutions démocratiques, des contradictions inter-impérialistes, des stratégies et tactiques révolutionnaires, de l’édification scientifique du communisme, etc. Toutes les questions politiques ne sont pas et ne doivent pas être le monopole de la bourgeoisie, de ses partis de droite et de gauche ou encore fascistes. Le prolétariat révolutionnaire doit avoir une position alternative au capitalisme sur toutes les questions dans la perspective de la première phase du communisme et alternative à l’oppression impérialiste dans les néo-colonies, étapes vers le socialisme.
Lénine n’a pas opposé les questions « politiques », « économiques », « démocratiques » aux questions dites « sociétales », mais a œuvré à réaliser une liaison dialectique dans la lutte des classes entre lutte économique, politique et idéologique, entre luttes sectorielles et globales, entre luttes démocratiques et luttes sociales, entre lutte pour les réformes et révolution.
Dans le sillage de Marx et Engels au XIXéme siècle, Lénine puis tous les communistes des révolutions populaires et nationales révolutionnaires indépendantistes du Sud au XXéme siècle et de ce XXIéme siècle, est le théoricien de la révolution qui a démontré que la « question sociale » ne se limite pas à la réforme du droit du travail ou à l’augmentation des salaires et que « la question nationale » ne se limite pas à la proclamation d’un État avec drapeau, hymne et gouvernement local.
En effet, la révolution socialiste communiste implique l’expropriation partielle ou totale selon les réalités concrètes des capitalistes et la révolution indépendantiste implique la souveraineté nationale et populaire sur les richesses du pays. Telles sont les deux conditions en plus du développement des forces productives nationales pour des changements socio-économiques fondamentaux qui concernent, selon les étapes, toute la vie sociale et nationale.
La révolution prolétarienne dans les grands pays capitalistes et/ou la révolution nationale démocratique populaire anti-impérialiste dans les pays dépendants et les néo-colonies changent la nature de classe de l’État selon Lénine. Tout État étant celui de la classe dominante dans l’économie fait de l’État le sujet politique central de toute révolution. L’État n’est ni neutre ni arbitre entre les classes sociales d’une nation, d’un pays. L’État est au service de la classe sociale qui contrôle et profite de l’économie et donc sert à organiser l’activité économique et la société pour les intérêts de la classe sociale dominante. La révolution consiste donc à conquérir le pouvoir d’État, à abolir les anciennes institutions faites pour la classe sociale renversée et à créer de nouvelles institutions adaptées à la classe travailleuse.
On comprend dès lors que le centenaire de la mort de Lénine est un désagréable souvenir pour la classe des capitalistes des pays impérialistes et pour la bourgeoisie compradore des pays dépendants et des néo-colonies et avec eux pour tous les réformistes et opportunistes qui ont révisé le Marxisme-Léninisme pour désarmer le mouvement ouvrier, les classes laborieuses et les peuples opprimés.
Alors, il est temps de renouer avec le Marxisme-Léninisme comme guide scientifique pour l’action révolutionnaire des classes laborieuses pour l’émancipation sociale et des peuples pour la libération nationale comme l’ont fait nos camarades communistes de Chine, de Corée du nord, du Vietnam et de Cuba.
20/12/24
Diagne Fodé Roland