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La mutation mouvementée d’une monarchie

Samedi 11 Novembre 2017

Adama Gaye avec le ministre saoudien du Pétrole
Adama Gaye avec le ministre saoudien du Pétrole
Par Adama GAYE (Retour de Ryadh)
 
Soudain, la tempête. Le limogeage, suivi d’arrestations, d’onze princes, quatre ministres et autres hautes autorités, y compris, semble-t-il, celle du richissime Prince al-Walid ben Talal, samedi  4 novembre, ou du chef de la garde royale, est venu secouer le ciel de la plus importante monarchie de la péninsule arabique, confirmant que sa mutation, sur fond de purges et d’une révolution techno-sociale, est l’expression d’un mouvement dont la magnitude n’a jamais été vue ici depuis fort longtemps.
 
C’est l’histoire en mode accéléré qui se donne à voir dans ce pays longtemps assoupi, vivant de ses rentes pétro-gazières depuis bientôt un siècle et de son tourisme religieux né de la présence sur la terre bénie des musulmans de deux des plus grands sites de l’islam, la Mecque et Médine, qui voient converger chaque année depuis  le 8ème siècle après Jésus, par milliers, puis par millions, des pèlerins venus renouveler le pacte de leur prophète, Mahomet (PSL) sur son sol natal envers son dieu, Allah.
 
Brusque, à couper le souffle, le mouvement en cours en Arabie Saoudite dépasse tout ce que l’on peut imaginer, vu de loin, à travers ses guerres au Yemen, sa rivalité avec l’Iran, chiite, auquel elle oppose sa version sunnite de l’islam, ou encore ses prétentions géopolitiques.
 
J’ai vu ce pays en bouillonnement révolutionnaire en y débarquant il y a trois semaines le 24 Octobre au matin par un vol en provenance d’Istanbul. Invité avec des centaines d’autres hôtes parmi les plus célèbres dans les milieux des affaires et de l’innovation, mais aussi de la politique ou de l’université, allant de l’entrepreneur Richard Branson au Président émérite de Harvard, Larry Summers, les PDG des plus grandes multinationales de la planète, sans oublier les habituels conférenciers, Tony Blair et Nicolas Sarkozy, je n’avais pas pu échapper à la vague réformatrice dès mon contact avec la terre ferme.
 
Dès l’aéroport Roi Khalid, celui de la capitale Ryadh, à 35 kms du centre-ville, ce qui m’avait frappé ce n’était pas le port vestimentaire fait de schmack, foulard sur la tête, et thiop, kaftan version locale, ni l’indolence des taximen et autres rabatteurs. «Il faut installer un compte UBER», s’empressa de dire l’un des chargés d’information de l’aéroport, comme pour souligner qu’en ces lieux, le nouveau moyen de locomotion, adossé sur les technologies de l’information, était en passe de faire disparaître le modèle classique des taxis anciens.
 
 Sur la route, bordée de palmiers et d’un type d’arbre rabougri, seules concessions à la végétation, le trajet vers le centre-ville aurait pu paraître ennuyant n’eûssent été ces lampadaires encore allumés alors que déjà de vigoureux rayons de soleil signalaient l’incongruité de cette énergie déversée sans raison. Ersatz d’un temps évanescent ? Productrice la plus importante dans les hydrocarbures fossiles, l’Arabie Saoudite, qui en est la banque centrale, peut encore mener large.
 
Il faut pourtant gratter légèrement pour réaliser qu’avec la techtonique des plaques, portée par les changements technocratiques, nés de l’alliage internet, télécommunications, intelligence artificielle, les changements sociaux, pour mieux intégrer les femmes dans la vie nationale ou la transition énergétique vers le solaire, en particulier, ont fini par placer l’Arabie Saoudite sur une étourdissante rampe de lancement.
 
Dans cette ville de 6, 5 millions d’habitants, pour un pays qui en compte 33 millions, le changement a un visage : celui de Mohammed  ben Salman, 32 ans, prince héritier du trône. Il en est désormais le nouvel homme fort, chargé de perpétuer un projet forgé en 1744, à travers une alliance entre les rigoristes islamistes, wahhabites, et la Maison Al Saoud, du nom du fondateur de la dynastie régnante. Son lointain successeur, le Roi Abdel Aziz,  réussit en 1932 à unifier la monarchie, avant de passer un accord de protection, le 14 février 1945, avec Franklin Roosevelt, alors Président américain, dans ce qu’on a appelé l’Accord du Quincy, signé à bord du bateau ramenant ce dernier de la Conférence de Yalta. En échange d’une fourniture d’énergie ou de discussions inabouties sur l’avenir d’un foyer national juif en Palestine ? Toujours est-il qu’à sa suite, les USA avaient, depuis, offert leur parapluie sécuritaire aux Saouds.
 
En décidant de construire une ville nouvelle, Neom, capitale mondiale du solaire, avec plus de 500 milliards de dollars d’investissements, où vivront plus de robots que d'êtres humains, en déclarant la fin de son soutien à l’extrémisme islamiste et en tendant la main aux investisseurs les plus innovants de la planète, l’Arabie Saoudite est en mutation.
 
Sa modernisation technologique et sociale, coeur de sa réinvention, ne peut cependant se faire sans les secousses qui ont fait tomber des têtes, couronnées et puissantes, il y a deux quelques jours. En réalité, une mortelle guerre est engagée entre un monde ancien et celui, nouveau, que le Forum international de Ryadh a proposé au cours du plus grand rassemblement de l’histoire de ceux qui veulent hâter l'avènement d'un autre monde. En clair, la version terrestre, planétaire, de l’Accord du Quincy pour le contrôle de la monarchie, sous prétexte d’une lutte anti-corruption, est engagée!
 
 
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