Par Adama Gaye
C’est un film d’horreur à l’envers. Des Sud-africains noirs, armés de machettes et d’allumettes, à la place des policiers blancs de naguère, pourchassent des ressortissants africains établis chez eux et brûlent leurs commerces.
Le choc est plus fort que l’espoir suscité par ce qui devait marquer la fin de la terreur raciale dans ce pays situé dans la cône australe du continent. Des centaines de millions d’Africains, du reste du continent, n'en reviennent pas. Ils se demandent s'ils ne vivent pas un cauchemar.
Pour comprendre, certains ont dû se rappeler ce proverbe wolof selon lequel le gosier ne remercie pas la nourriture de l’année dernière. Les autres ont convoqué Hobbes, en se disant que décidément l’homme reste un loup pour son prochain…
Qui l’eût cru cependant pour cette Afrique du Sud où tous pensaient que la défaite du régime d’Apartheid, ce système ayant institutionnalisé la division raciale, allait enfin légitimer l’ambition du continent, maintenant que sa libération semblait totale, de se tourner vers la quête de son indépendance économique avec, comme leader, le géant Sud-africain.
23 ans plus tard, sous nos yeux médusés, ce rêve s’écroule. Devenue un monstre, l'Afrique du Sud fait honte au continent. Nul ne l'imagine capable de répondre aux attentes de tous ces Africains qui ont dévoué leurs meilleures ressources, physiques, financières et intellectuelles, pour être à ses côtés au moment où elle vivait ses pires péripéties.
Même les plus jeunes élèves qui étaient contraints d’étudier l’histoire de ce pays, quand on leur enseignait que ses peuples noirs y avaient un statut de sous-hommes, savent que la saga a mal tourné.
D'un seul coup, c'est le fruit d'un combat ardu qui s'effondre. Vaincre les théoriciens de l’Apartheid ne fut pas facile, eux qui se sentaient protégés par le monde occidental, dans une relation qui empruntait aussi bien à la solidarité raciale qu’à la nécessité de maintenir le verrou stratégique qu’était leur pays, pour le camp capitaliste, pendant la guerre froide.
Les Blancs, en particulier les Boers qui sont venus y prendre pied en provenance de la Hollande, et, à un degré moindre, les Anglo-saxons, provenant de l’Angleterre, longtemps la puissance coloniale avant que la République n’y fut instaurée en 1961, avaient établi l'Apartheid à partir de Mai 1948 quand le Parti national dirigé par Daniel Malan accède au pouvoir. On lui doit alors la naissance d’un système législatif dont l’objectif était de maintenir la domination de la population blanche minoritaire sur les autres groupes raciaux.
Sous le leadership de ses successeurs, John Vorster et Pieter Botha, l’individu n’a d’existence que dans sa communauté, alors que les églises réformées hollandaises et une ligue secrète, le Broederbond, deviennent les soutiers du pouvoir pâle. Ecrasés, les Noirs sont violentés, et leurs chefs emprisonnés, comme Nelson Mandela, ou forcés de s’exiler.
C’est dans ce contexte que le continent africain se mobilise pour combattre l’apartheid. Dans toutes ses instances politiques, continentales, nationales et au sein de l’Organisation des Nations-Unies, ses Etats, unis, ne lésinent sur aucun moyen, malgré leurs propres difficultés, pour mener la lutte contre le régime ségrégationniste sud-africain. Ils font montre d’une remarquable détermination en offrant en plus hospitalité, appui financier, passeports diplomatiques et solidarité politique aux militants anti-apartheid.
La communauté internationale se trouva obligée de se rallier à la cause portée par le continent. Même les régimes racistes de Reagan aux Usa et de Thatcher en Grande Bretagne durent retirer leur soutien à Pretoria en admettant qu’il n’était plus possible de n’analyser leurs rapports avec les Blancs sud-africains qu’à travers le seul prisme de la nécessité d’endiguer le communisme.
La communauté des hommes d’affaires, les multinationales et leurs relais en Afrique du Sud comprirent aussi que les vents avaient tourné. Le nouveau Président du pays, Frederick De Klerk, arrivé au pouvoir en 1989, se mit alors à négocier avec Mandela les conditions de l’instauration d’une république multicolore.
Toute l’Afrique était naturellement enthousiaste quand le plus vieux prisonnier politique du pays fut libéré en février 1990, avant la tenue, en avril 1994, de ses premières élections multiraciales.
J’avais eu le privilège d’avoir été autorisé à voyager avec Mandela quand il commença ses tournées africaines après sa libération. Mais ce fut un moment de questionnement: comment avait-il pu choisir ses premiers pays parmi ceux qui n’étaient pas les plus démocratiques? Y était-il allé pour prendre de l’argent afin de mener la bataille électorale? J’en déduisis que les révolutionnaires étaient capables de s’accommoder d’un certain cynisme. Une preuve supplémentaire en est donnée par le Ministère des Affaires étrangères du pays qui banalise en 'incidents sporadiques criminels' les récentes chasses à l'homme venues de l'autre côté du continent!
L’arrogance sud-africaine, à la base d’échecs diplomatiques et commerciaux retentissants, et son ingratitude ont fini de faire regretter à des centaines de millions d’Africains leurs sacrifices contre l’apartheid.
Le capital sympathie n’a jamais été aussi mince. Continuer de vouloir enjoliver la réalité, pour maintenir en vie un imaginaire en ruines, relève désormais d’une intenable malhonnêteté intellectuelle. Et dire que ce pays mène une campagne de promotion de son image sur le continent. Le désastre est irréparable!
C’est un film d’horreur à l’envers. Des Sud-africains noirs, armés de machettes et d’allumettes, à la place des policiers blancs de naguère, pourchassent des ressortissants africains établis chez eux et brûlent leurs commerces.
Le choc est plus fort que l’espoir suscité par ce qui devait marquer la fin de la terreur raciale dans ce pays situé dans la cône australe du continent. Des centaines de millions d’Africains, du reste du continent, n'en reviennent pas. Ils se demandent s'ils ne vivent pas un cauchemar.
Pour comprendre, certains ont dû se rappeler ce proverbe wolof selon lequel le gosier ne remercie pas la nourriture de l’année dernière. Les autres ont convoqué Hobbes, en se disant que décidément l’homme reste un loup pour son prochain…
Qui l’eût cru cependant pour cette Afrique du Sud où tous pensaient que la défaite du régime d’Apartheid, ce système ayant institutionnalisé la division raciale, allait enfin légitimer l’ambition du continent, maintenant que sa libération semblait totale, de se tourner vers la quête de son indépendance économique avec, comme leader, le géant Sud-africain.
23 ans plus tard, sous nos yeux médusés, ce rêve s’écroule. Devenue un monstre, l'Afrique du Sud fait honte au continent. Nul ne l'imagine capable de répondre aux attentes de tous ces Africains qui ont dévoué leurs meilleures ressources, physiques, financières et intellectuelles, pour être à ses côtés au moment où elle vivait ses pires péripéties.
Même les plus jeunes élèves qui étaient contraints d’étudier l’histoire de ce pays, quand on leur enseignait que ses peuples noirs y avaient un statut de sous-hommes, savent que la saga a mal tourné.
D'un seul coup, c'est le fruit d'un combat ardu qui s'effondre. Vaincre les théoriciens de l’Apartheid ne fut pas facile, eux qui se sentaient protégés par le monde occidental, dans une relation qui empruntait aussi bien à la solidarité raciale qu’à la nécessité de maintenir le verrou stratégique qu’était leur pays, pour le camp capitaliste, pendant la guerre froide.
Les Blancs, en particulier les Boers qui sont venus y prendre pied en provenance de la Hollande, et, à un degré moindre, les Anglo-saxons, provenant de l’Angleterre, longtemps la puissance coloniale avant que la République n’y fut instaurée en 1961, avaient établi l'Apartheid à partir de Mai 1948 quand le Parti national dirigé par Daniel Malan accède au pouvoir. On lui doit alors la naissance d’un système législatif dont l’objectif était de maintenir la domination de la population blanche minoritaire sur les autres groupes raciaux.
Sous le leadership de ses successeurs, John Vorster et Pieter Botha, l’individu n’a d’existence que dans sa communauté, alors que les églises réformées hollandaises et une ligue secrète, le Broederbond, deviennent les soutiers du pouvoir pâle. Ecrasés, les Noirs sont violentés, et leurs chefs emprisonnés, comme Nelson Mandela, ou forcés de s’exiler.
C’est dans ce contexte que le continent africain se mobilise pour combattre l’apartheid. Dans toutes ses instances politiques, continentales, nationales et au sein de l’Organisation des Nations-Unies, ses Etats, unis, ne lésinent sur aucun moyen, malgré leurs propres difficultés, pour mener la lutte contre le régime ségrégationniste sud-africain. Ils font montre d’une remarquable détermination en offrant en plus hospitalité, appui financier, passeports diplomatiques et solidarité politique aux militants anti-apartheid.
La communauté internationale se trouva obligée de se rallier à la cause portée par le continent. Même les régimes racistes de Reagan aux Usa et de Thatcher en Grande Bretagne durent retirer leur soutien à Pretoria en admettant qu’il n’était plus possible de n’analyser leurs rapports avec les Blancs sud-africains qu’à travers le seul prisme de la nécessité d’endiguer le communisme.
La communauté des hommes d’affaires, les multinationales et leurs relais en Afrique du Sud comprirent aussi que les vents avaient tourné. Le nouveau Président du pays, Frederick De Klerk, arrivé au pouvoir en 1989, se mit alors à négocier avec Mandela les conditions de l’instauration d’une république multicolore.
Toute l’Afrique était naturellement enthousiaste quand le plus vieux prisonnier politique du pays fut libéré en février 1990, avant la tenue, en avril 1994, de ses premières élections multiraciales.
J’avais eu le privilège d’avoir été autorisé à voyager avec Mandela quand il commença ses tournées africaines après sa libération. Mais ce fut un moment de questionnement: comment avait-il pu choisir ses premiers pays parmi ceux qui n’étaient pas les plus démocratiques? Y était-il allé pour prendre de l’argent afin de mener la bataille électorale? J’en déduisis que les révolutionnaires étaient capables de s’accommoder d’un certain cynisme. Une preuve supplémentaire en est donnée par le Ministère des Affaires étrangères du pays qui banalise en 'incidents sporadiques criminels' les récentes chasses à l'homme venues de l'autre côté du continent!
L’arrogance sud-africaine, à la base d’échecs diplomatiques et commerciaux retentissants, et son ingratitude ont fini de faire regretter à des centaines de millions d’Africains leurs sacrifices contre l’apartheid.
Le capital sympathie n’a jamais été aussi mince. Continuer de vouloir enjoliver la réalité, pour maintenir en vie un imaginaire en ruines, relève désormais d’une intenable malhonnêteté intellectuelle. Et dire que ce pays mène une campagne de promotion de son image sur le continent. Le désastre est irréparable!