Le 10 février 2014, la Commission nationale de réforme des institutions (Cnri) remettait au président de la république un «Avant-projet de constitution» et un «Rapport» ad hoc en date du 3 février 2014. Pour le Pr Amadou Mahtar Mbow et sa vingtaine de collaborateurs, c’était l’aboutissement de plusieurs mois de travail répartis entre investigations, foras, diagnostic, échanges avec les populations à la base, les organisations politiques et de la société civile, aux quatre coins du pays et dans la diaspora. Pour des millions de Sénégalais qui avaient souhaité des réformes institutionnelles fondamentales après les traumatismes de l’ère Wade, le travail de la Cnri était très attendu même si, par ailleurs, des soupçons pesaient sur la démarche du commanditaire des travaux.
Deux ans presque jour pour jour plus tard, le président Macky Sall balançait sur la place publique une bombe à fragmentations enroulée dans un chiffon rouge avec l’inscription «reniement». C’était sa réponse à lui aux espérances du «peuple des Assises» et de centaines de milliers d’autres Sénégalais.
Le forfait politique et moral ayant été constaté et dénoncé par des voix nombreuses et exaspérées, le recours semble être… la Cnri. Certains responsables du pouvoir – le président de la république en tête – s’attachent à expliquer que les quinze réformes préconisées par Macky Sall portent essentiellement l’empreinte de la commission dirigée par le Pr Mbow. En effet, les dispositions de la Cnri dans l’avant-projet de constitution sont d’une si grande pertinence théorique pour une démocratie en quête d’ascension qu’il aurait été difficile d’en inventer de meilleures… Mais pour le meilleur dans ce travail, Macky Sall a choisi la censure froide.
Transmission du pouvoir
Le dernier alinéa de l’article 58 de la Section 3 de l’avant-projet de la Cnri propose au sujet du président de la république : «aucun de ses ascendants, descendants, collatéraux au premier degré, ou conjoints ne peut être candidat pour lui succéder ou assurer sa suppléance.» Cette disposition est capitale pour la sécurité du modèle démocratique républicain. Qui a oublié le 23-juin et la trame de fond funeste qu’il portait ? En ignorant ce point dans l’article 28 du nouveau texte soumis à référendum, le chef de l’Etat perpétue les points mystérieux de sa gouvernance alors qu’il est de notoriété publique que ses proches parents sont dans l’arène politique. Portes ouvertes…
Président, pas chef de parti
L’alinéa 2 de l’article 63 de l’avant-projet de la Cnri indique : «Durant l’exercice de ses fonctions, le président de la république ne peut exercer aucune fonction dirigeante dans un parti politique ni appartenir à toute autre association.» La double caquette de chef de l’Etat et de président de l’alliance pour la république (Apr) a fini de se transformer en piège ouvert contre ses adversaires politiques avec le délit d’«outrage au président de la république». Cette disposition de la Cnri est pourtant considérée comme fondamentale dans le processus de modernisation de la vie politique. Mais selon le Pr Ismaila Madior Fall, conseiller juridique du président, elle manque de réalisme dans le contexte sénégalais. Comme quoi, la démocratie aurait un coût ailleurs, pas au Sénégal.
Sus à la notabilisation des députés !
Cette modernisation des pratiques politiques touche également l’assemblée nationale, le corps le plus malade et le plus mortifère de l’architecture institutionnelle du Sénégal. Les «nouveaux» pouvoirs que le président veut lui attribuer sont dans la place depuis belle lurette. Seules une faiblesse insigne et une incompétence généralisée chez la majorité de ses membres l’empêchent de jouer le rôle qui lui est dévolu par la loi. Alors, quand pour son renouvellement et celui de la classe politique, la Cnri suggère : «aucun député ne peut exercer plus de trois mandats successifs», le président s’y oppose, laissant libre cours à la notabilisation et à l’émergence de potentats politiciens dévoués, aux quatre coins du territoire.
Gouvernement à 25 membres
Pour des soucis à la fois d’efficacité dans l’action et de préservation des ressources publiques, Mbow et Cie proposent à l’article 76 : «Le nombre des membres du gouvernement est fixé à vingt-cinq membres au maximum.» Dans la première équipe ministérielle dirigée par Abdoul Mbaye, le compte y était, avant que la politique politicienne et ses exigences liées à la satisfaction des coteries partisanes et claniques n’imposent le dérapage. Aujourd’hui, le gouvernement du premier ministre Dionne compte : 30 ministres, 3 ministres délégués, 6 secrétaires d’Etat…
Cour constitutionnelle
Dans les Etats modernes, le principe d’indépendance de la justice reste le pilier du projet démocratique par sa capacité à endiguer les dérives du pouvoir exécutif. Selon l’article 105 de l’avant-projet de constitution, «le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif… Les juges ne sont soumis dans l’exercice de leur fonction qu’à l’autorité de la loi. Le magistrat du siège est inamovible. Il ne peut être déplacé qu’à sa demande ou par nécessité de service dûment constaté par le Conseil supérieur de la magistrature.» Celle-ci devient «l’organe de gestion de la carrière des magistrats.»
C’est dans cet esprit que la Cnri a proposé la mise en place d’une «Cour constitutionnelle» vue comme «la plus haute juridiction» du pays» (article 107) et dont le président est également à la tête du Conseil supérieur de la magistrature (article 106). La Cour constitutionnelle serait composée de 7 membres nommés par décret pour un mandat de 6 ans non renouvelable. Son président, lui, serait choisi par ses pairs magistrats pour une durée de trois ans renouvelable une fois (article 108).
Garde à vue révolutionnée
Il y a quelques jours, Me El Hadj Diouf, député à l’assemblée nationale, réclamait bruyamment devant le ministre de l’Intérieur l’effectivité d’une mesure salutaire pour les personnes gardées à vue : le droit de se faire assister par un avocat suivant une directive de l’Uemoa. En réponse, Abdoulaye Daouda Diallo lui avait promis de transmettre sa préoccupation à son collègue de la Justice…
La Cnri, elle, avait pris les devant dans l’article 22 de l’avant-projet de constitution. «(…) La personne gardée à vue doit être informée de ses droits, notamment le droit au silence, le droit à un examen médical et le droit de se faire assister, au terme des premières vingt-quatre heures de garde à vue, par un avocat ou, à défaut, par une personne assermentée de son choix.»
Cette directive communautaire qui s’impose à tous les Etats membres est issue du règlement n°05 de septembre 2014 vise l’harmonisation des règles qui régissent la profession d’avocat dans l’espace de l’Uemoa. Le gouvernement subit-il les pressions conjointes de la police et de la gendarmerie pour ne pas transposer la directive dans le droit interne ?
A l’origine, la parole manquée !
Les points ci-dessus abordés et réglés par la Cnri auraient pu constituer un formidable package de réformes institutionnelles – en plus du mandat réduit à cinq ans à partir de celui en cours – pour insuffler un souffle nouveau à la démocratie et ramener le bloc des citoyens découragés dans le giron de la politique. Mais le chef de l’Etat sénégalais était, lui, dans d’autres schémas qui l’ont conduit à son coup de théâtre du 16 février dernier.
Aujourd’hui, quelle que soit l’issue prochaine de la consultation, un constat se dégage d’ores et déjà : les gens sont en colère parce que le président de la république, incarnation de l’autorité suprême, a froidement manqué à sa parole et déçu des espoirs. Une petite balade hors du Palais, un petit-déjeuner dans un «tangana», un repas dans un restaurant ou à domicile entre amis, une conversation autour d’un café, édifient assez sur l’état d’esprit de beaucoup de Sénégalais…