Par Adama Gaye (*)
Les dates marquantes de la démocratie sénégalaise, ses hauts et bas, commencent à être reconnues mais le mois le plus significatif la concernant est celui de Mars, moment de deux alternances politiques à la tête du pays. Cinq ans après l’arrivée au pouvoir du régime actuel, le 25 mars 2012, l’occasion est propice pour porter un regard rétrospectif autant que prospectif sur son bilan et ses perspectives.
De toute évidence, la colonne vertébrale de l’exceptionnalisme sénégalais dans un continent où sévissait partout le monopartisme s’est fracassé à l’épreuve de l’exercice démocratique. Loin est le temps du régime des ménages à enfant unique, selon le mot de Maître Abdoulaye Wade, presque s’excusant, au milieu des années 1970, de déroger à une norme globalement acceptée en créant son parti d’opposition, le Parti démocratique sénégalais (pds).
Seuls les plus nuancés comprirent pourquoi il avait enrobé le nouveau-né, à son berceau, du manteau de parti de…contribution au parti-Etat tout puissant de l’époque, l’Union progressiste sénégalaise (UPS), devenue par la suite le Parti socialiste.
La démocratie pluraliste au Sénégal est née dans un contexte lourd, sous une chape de plomb. Quelques-années après les indépendances africaines, acquises à travers le continent au moyen d’une mobilisation des forces patriotiques, élites intellectuelles mais aussi forces d’avant-garde syndicales, populaires voire religieuses, transcendant les disparités ethniques, le pays s’était retrouvé rapidement, comme ailleurs, sous la logique de l’émergence d’hommes forts, dont le souci premier, au nom, facticement avancé, de la construction nationale.
Par on-ne-sait quel génie, malgré une volonté de subjugation des voix contraires, il fut l’un des derniers bastions où une part de parole libre, aux forceps, parvenait à monter de la société.
Ouvert à tous les courants (celui qui a sa mosquée n’a qu’à appeler ses ouailles à la prière, expliqua Abdou Diouf, à son arrivée au pouvoir, en 1981, qui finit par en accepter le principe), le retour à la démocratie plurielle a progressivement coïncidé avec une montée de l’appétit politique, le besoin d’air, à travers toute l’Afrique.
Quand les verrous du monolithisme ont sauté, au début des années 1990, le Sénégal ne pouvait plus exciper d’un quelconque statut spécial. La question politique n’y était d’ailleurs plus la plus importante : des années d’ajustement structurel étaient passées par là. Comment améliorer le quotidien était devenue la question centrale pour les populations sénégalaises, en particulier les citadins, soudain coincées dans une vie économiquement intenable, marquée par le chômage, les licenciements, l’exode des élites et ouvriers qualifiés, le mal vivre.
Tant que l’ersatz d’Etat providence, socialiste, pouvait faire illusion, le contrat politique, version Léviathan local, pouvait perdurer. La crise économique, paradoxalement, devint le prétexte pour faire bouger les lignes de l’impensable en permettant ce que l’on pouvait croire comme l’aube d’une démocratie enfin majeure.
Ce que les spécialistes de la novlangue qualifièrent de parti de la demande sociale fit le reste. La première alternance politique survint dans ce contexte, le 19 mars 2000. Elle fut aussi favorisée par un autre facteur : le surgissement de la techtonique, alors incarnée par l’ubiquité de la transistorisation et des téléphones portables, lesquels permirent de faire barrage aux fraudes électorales classiques.
Douze ans plus tard, après une deuxième alternance politique intervenue le 25 mars 2012, grâce encore au rêve d’une prospérité (le chemin de la prospérité, de la croissance, qui fut le slogan du vainqueur), la démocratie sénégalaise ne donne plus d’elle-même qu’une image terne, parce qu’elle ne fait plus rêver.
Il suffit, pour s’en convaincre, de voir comment, fâchés, fauchés, fatigués, la majorité, l’immense majorité de celles et ceux qui avaient célébré cinq ans plus tôt l’avènement de celui qu’on présentait comme le Président né après les indépendances, les Sénégalais n’offrent plus que le spectacle d’un peuple dépité.
C’est qu’au lieu d’être l’accélérateur du développement et l’égalisateur des citoyens devant la loi et les coffres de la nation, la démocratie s’est révélée en pire que les autocraties mono-partisanes.
Porte ouverte à tous les abus, elle a jeté aux orties les critères du mérite qu’un Etat, quoi que sous l’emprise du parti presque unique, savait maintenir juste par un effort de redistribution équitable, par des stratégies de développement nationales, le recours à l’école pour la sélection des meilleurs, à l’armée et à la jeunesse comme creusets de l’unité nationale.
La démocratie a même servi de levier pour l’avancée sociale et l’enrichissement d’une faune de populistes, faussaires, médiocres, dont certains, révisionnistes, ont réinventé leurs parcours politiques, pour se légitimer, pour coller à l’air du temps et des pouvoirs changeants tandis que d’autres ont vendu leurs âmes aux étrangers qui ont compris que les chemins de la reprise en mains des pays africains passaient par le soutien aux prétendus modernisateurs de la vie politique de leurs pays.
Le Sénégal souffre dès lors de cette démocratie qui, de facto, ne sert que des intérêts privés, partisans, religieux, syndicaux, étrangers, en plus des dames de compagnie pendant que la plèbe survit.
Cinq ans après le grand espoir, personne n’a fêté la deuxième alternance, ni la première ni même les autres grandes dates sur la marche de la démocratisation : 1974, 1988, 19 mars, 23 Juin, 25 mars. Sauf à réinventer sa démocratie, le pays n’a plus d’horizon politique alléchant ; elle ne fait plus rêver : sur son lit de mort, un chef religieux lui a même prédit le risque d’une guerre civile, si rien n’est fait !
(*) Journaliste & consultant
Les dates marquantes de la démocratie sénégalaise, ses hauts et bas, commencent à être reconnues mais le mois le plus significatif la concernant est celui de Mars, moment de deux alternances politiques à la tête du pays. Cinq ans après l’arrivée au pouvoir du régime actuel, le 25 mars 2012, l’occasion est propice pour porter un regard rétrospectif autant que prospectif sur son bilan et ses perspectives.
De toute évidence, la colonne vertébrale de l’exceptionnalisme sénégalais dans un continent où sévissait partout le monopartisme s’est fracassé à l’épreuve de l’exercice démocratique. Loin est le temps du régime des ménages à enfant unique, selon le mot de Maître Abdoulaye Wade, presque s’excusant, au milieu des années 1970, de déroger à une norme globalement acceptée en créant son parti d’opposition, le Parti démocratique sénégalais (pds).
Seuls les plus nuancés comprirent pourquoi il avait enrobé le nouveau-né, à son berceau, du manteau de parti de…contribution au parti-Etat tout puissant de l’époque, l’Union progressiste sénégalaise (UPS), devenue par la suite le Parti socialiste.
La démocratie pluraliste au Sénégal est née dans un contexte lourd, sous une chape de plomb. Quelques-années après les indépendances africaines, acquises à travers le continent au moyen d’une mobilisation des forces patriotiques, élites intellectuelles mais aussi forces d’avant-garde syndicales, populaires voire religieuses, transcendant les disparités ethniques, le pays s’était retrouvé rapidement, comme ailleurs, sous la logique de l’émergence d’hommes forts, dont le souci premier, au nom, facticement avancé, de la construction nationale.
Par on-ne-sait quel génie, malgré une volonté de subjugation des voix contraires, il fut l’un des derniers bastions où une part de parole libre, aux forceps, parvenait à monter de la société.
Ouvert à tous les courants (celui qui a sa mosquée n’a qu’à appeler ses ouailles à la prière, expliqua Abdou Diouf, à son arrivée au pouvoir, en 1981, qui finit par en accepter le principe), le retour à la démocratie plurielle a progressivement coïncidé avec une montée de l’appétit politique, le besoin d’air, à travers toute l’Afrique.
Quand les verrous du monolithisme ont sauté, au début des années 1990, le Sénégal ne pouvait plus exciper d’un quelconque statut spécial. La question politique n’y était d’ailleurs plus la plus importante : des années d’ajustement structurel étaient passées par là. Comment améliorer le quotidien était devenue la question centrale pour les populations sénégalaises, en particulier les citadins, soudain coincées dans une vie économiquement intenable, marquée par le chômage, les licenciements, l’exode des élites et ouvriers qualifiés, le mal vivre.
Tant que l’ersatz d’Etat providence, socialiste, pouvait faire illusion, le contrat politique, version Léviathan local, pouvait perdurer. La crise économique, paradoxalement, devint le prétexte pour faire bouger les lignes de l’impensable en permettant ce que l’on pouvait croire comme l’aube d’une démocratie enfin majeure.
Ce que les spécialistes de la novlangue qualifièrent de parti de la demande sociale fit le reste. La première alternance politique survint dans ce contexte, le 19 mars 2000. Elle fut aussi favorisée par un autre facteur : le surgissement de la techtonique, alors incarnée par l’ubiquité de la transistorisation et des téléphones portables, lesquels permirent de faire barrage aux fraudes électorales classiques.
Douze ans plus tard, après une deuxième alternance politique intervenue le 25 mars 2012, grâce encore au rêve d’une prospérité (le chemin de la prospérité, de la croissance, qui fut le slogan du vainqueur), la démocratie sénégalaise ne donne plus d’elle-même qu’une image terne, parce qu’elle ne fait plus rêver.
Il suffit, pour s’en convaincre, de voir comment, fâchés, fauchés, fatigués, la majorité, l’immense majorité de celles et ceux qui avaient célébré cinq ans plus tôt l’avènement de celui qu’on présentait comme le Président né après les indépendances, les Sénégalais n’offrent plus que le spectacle d’un peuple dépité.
C’est qu’au lieu d’être l’accélérateur du développement et l’égalisateur des citoyens devant la loi et les coffres de la nation, la démocratie s’est révélée en pire que les autocraties mono-partisanes.
Porte ouverte à tous les abus, elle a jeté aux orties les critères du mérite qu’un Etat, quoi que sous l’emprise du parti presque unique, savait maintenir juste par un effort de redistribution équitable, par des stratégies de développement nationales, le recours à l’école pour la sélection des meilleurs, à l’armée et à la jeunesse comme creusets de l’unité nationale.
La démocratie a même servi de levier pour l’avancée sociale et l’enrichissement d’une faune de populistes, faussaires, médiocres, dont certains, révisionnistes, ont réinventé leurs parcours politiques, pour se légitimer, pour coller à l’air du temps et des pouvoirs changeants tandis que d’autres ont vendu leurs âmes aux étrangers qui ont compris que les chemins de la reprise en mains des pays africains passaient par le soutien aux prétendus modernisateurs de la vie politique de leurs pays.
Le Sénégal souffre dès lors de cette démocratie qui, de facto, ne sert que des intérêts privés, partisans, religieux, syndicaux, étrangers, en plus des dames de compagnie pendant que la plèbe survit.
Cinq ans après le grand espoir, personne n’a fêté la deuxième alternance, ni la première ni même les autres grandes dates sur la marche de la démocratisation : 1974, 1988, 19 mars, 23 Juin, 25 mars. Sauf à réinventer sa démocratie, le pays n’a plus d’horizon politique alléchant ; elle ne fait plus rêver : sur son lit de mort, un chef religieux lui a même prédit le risque d’une guerre civile, si rien n’est fait !
(*) Journaliste & consultant