Secrétaire général du Rassemblement national démocratique (Rnd), Dialo Diop est un politique de conviction, captivant par le verbe, mais aussi par les idées et l’engagement. Dans l’entretien qui suit, il revient sur les circonstances de l’assassinat de son grand-frère, Oumar Blondin Diop, mort dans les geôles de Senghor, un certain 11 mai 1973.
Comment Oumar Blondin Diop a-t-il été arrêté et jeté en prison où il meurt, jeune, en 1973?
Effectivement Oumar est mort à l’âge de vingt-six ans, donc, relativement jeune. C’est dire qu’il n’a vraiment pas eu le temps d’avoir une œuvre intellectuelle proprement dite, même l’on dispose de certains de ses écrits. D’ailleurs, je dois dire que la famille envisage de les publier. Pour en revenir au sujet, Oumar a été fauché prématurément dans la nuit du 10 au 11 mai 1973 après avoir été arrêté par le Chef de la sécurité malienne de l’époque en l’occurrence Thiékoro Bagayoko, ministre de l’Intérieur, à l’occasion d’une visite officielle du Président Senghor au Mali. C’était peu après sa réconciliation avec le Président Modibo Keïta. Il avait été arrêté en compagnie d’Aliou Sall plus connu sous le nom de Paloma. Ensuite, ils on été extradés par avion pieds et poings liés et condamnés à trois ans de prison. Il est surtout connu pour avoir été le premier jeune sénégalais à avoir intégré l’Ecole normale supérieure de Saint-Cloud. Un évènement qui lui avait valu la Une du journal Paris-Dakar de l’époque.
Votre frère s’était-il suicidé dans sa cellule de la prison disciplinaire de Gorée, comme le disent certains ?
Pour en revenir sur les causes de sa mort, on les connait de manière certaine puisque liées à la violence exercée sur nous par le Groupement mobile d’intervention (Gmi) qui avait été amené de Thiès pour nous mater. Et il y a eu un coup de trop qui lui a été fatal. A l’époque, moi j’étais en déportation au Centre pénitencier de Kédougou avec Mamadou Dia, Ibrahima Sarr et Valdiodio Ndiaye. Mon petit-frère Mohamed, aujourd’hui décédé, qui était avec Oumar à Gorée, avait pu nous raconter et aux parents les circonstances de la bagarre qui a été fatale à Oumar. Ce qui avait permis à mon père de porter-plainte pour coups et blessures volontaires ayant entrainé la mort sans intention de la donner.
Et la justice, était-elle intervenue ?
Ce qui est extraordinaire est que le doyen des juges de l’époque, en l’occurrence Moustapha Touré, saisi de cette plainte – après que mon père qui était médecin eut exigé une autopsie à laquelle il a assisté – suite à une visite à la prison de Gorée, est tombé sur la main courante du médecin qui faisait état d’une réquisition du gardien-chef lui demandant de se rendre à la prison pour le détenu Oumar Blondin Diop. En effet, il l’avait trouvé sans connaissance et il mentionnait qu’après lui avoir fait une injection de Solucamphre, le patient ne s’étant pas réveillé, il a ordonné son évacuation au Pavillon spécial de l’hôpital le Dantec. Le juge, accompagné de son greffier, avait demandé au gardien-chef s’il avait exécuté la prescription de l’infirmier. Il a répondu «non» en disant qu’il ne pouvait pas prendre le risque de transporter le fils Blondin sans connaissance dans la chaloupe de Gorée car, tout le monde allait savoir qu’il s’était passé quelque chose ce jour-là à la prison. Il semble qu’Oumar était mort dans les vingt-quatre heures qui ont suivi. Ensuite, ils ont sorti cette fable de la pendaison.
C’était tout sauf un suicide alors ?
Après une reconstitution, le juge avait vu que c’était mathématiquement impossible de se pendre même avec un drap dans les conditions du quartier politique de la prison disciplinaire de Gorée. Il avait ensuite inculpé tous les agents qui étaient en service ce jour-là, sauf le fameux Ndéré Faye qui était soi-disant en déplacement. Par la suite, il l’avait convoqué pour procéder à son inculpation. Malheureusement, il n’avait pas eu le temps de poursuivre sa procédure parce que dans les jours qui ont suivi, il avait été relevé de ses fonctions de Doyen des juges d’instruction. Le juge Dosseh qui l’a remplacé dans ses fonctions a attendu dix-huit mois, presque deux ans, avant de rendre une ordonnance d’incompétence levant l’inculpation des agents pénitentiaires. Il fondait sa décision sur le fait qu’en l’absence d’un certificat médical établissant une incapacité totale ou temporaire d’au moins vingt-un jours, il ne pouvait pas inculper lesdits agents et que mon père n’avait qu’à se pourvoir devant le tribunal de simple-police.
Qui a enterré Blondin Diop ?
Après l’autopsie, ce sont les policiers de Jean Colin, alors ministre de l’Intérieur, qui avaient procédé à l’inhumation de mon frère. Ils n’avaient pas voulu rendre le corps à la famille. Seul mon père et mon frère aîné, Ousmane, qui était rentré de Paris, avaient assisté à l’enterrement d’Oumar par les policiers. Et, lorsque cette affaire est restée en l’état, il nous aura fallu entendre quarante ans et plusieurs changements de régime pour que nous puissions être autorisés à faire apposer une plaque commémorative dans l’ancienne cellule où Oumar est décédé. C’est le 11 mai 2013 que nous l’avons pu faire avec sa photo.
Y a-t-il eu des avancées pour une réouverture de l’enquête sur ce décès ?
Il y a quelques temps, nous avions organisé une journée commémorative qui a eu un certain retentissement médiatique. Nous avons eu la surprise de voir l’un des assassins présumés, en l’occurrence le fameux Ndéré Faye, aujourd’hui décédé, le seul à n’avoir pas été inculpé pour raison d’absence. Ce jour-là, il s’était permis de donner une interview à un quotidien de la place pour réaffirmer de façon mensongère qu’il s’agissait d’un suicide. Il est même allé jusqu’à dire que mon père aurait dit, levant le cadavre de son fils : «mais pourquoi tu as fait ça ? ». Nous avons des documents écrits de la main de mon père dans son journal de bord, dans lequel il met qu’à la date du 11 mai, il y a eu l’assassinat d’Oumar à Gorée. Mais tous ces faits ne pourraient être exhumés que dans l’hypothèse où la procédure serait réouverte. Je rappelle qu’avant son extradition, Oumar avait été torturé à Bamako par Thiékoro qui l’avait rasé de force avant de le mettre dans une chambre froide pendant plusieurs heures.
Pensez-vous que cela soit possible sous le régime actuel ?
C’est suite aux fausses déclarations de Ndéré Faye que nous avions demandé au Garde des sceaux de l’époque, à savoir Aminata Touré, de rouvrir l’enquête après l’avortement de la procédure engagée quarante ans auparavant en temps et en heures. Depuis lors, nous sommes à l’écoute de la justice sénégalaise. Nous avons plusieurs échanges de courriers avec Me Sidiki Kaba, actuel ministre de la Justice, qui nous demande d’attendre. Seulement, l’attente devient longue car la plupart des acteurs et des témoins de ce drame sont décédés ou peuvent nous quitter à tout moment vu leur âge avancé. Heureusement que le juge Touré est encore vivant, même si le juge Dosseh n’est plus de ce monde. Ndéré Faye qui est l’un des auteurs présumés de l’assassinat est décédé l’année dernière.
Après 43 ans, croyez-vous encore au scénario d’une vérité qui triomphe ?
Par expérience, nous savons qu’avec ce genre de crime, même après un demi-siècle, la vérité fait peur. Je ne parlerai pas du cas Thomas Sankara qui est fameux puisque tout le monde voit comment les procédures sont bloquées. Il y a aussi l’exemple de Nobert Zongo, grillé au lance-flamme avec son frère et ses compagnons. Jusqu’à présent, on refuse d’ouvrir une enquête. Mais au niveau de la famille, notre conviction est que tôt ou tard, la vérité finit toujours par prévaloir sur le mensonge. D’ailleurs, je rappelle que les émeutes intervenues après la mort d’Oumar étaient la preuve concrète qu’elle n’était pas acceptée par l’opinion. Donc, courtoisement mais fermement, nous relançons périodiquement l’autorité judiciaire parce que seul le Garde de sceaux a la prérogative légale d’ordonner au Procureur de rouvrir ce dossier. Mais nous ne renoncerons jamais !
Comment Oumar Blondin Diop a-t-il été arrêté et jeté en prison où il meurt, jeune, en 1973?
Effectivement Oumar est mort à l’âge de vingt-six ans, donc, relativement jeune. C’est dire qu’il n’a vraiment pas eu le temps d’avoir une œuvre intellectuelle proprement dite, même l’on dispose de certains de ses écrits. D’ailleurs, je dois dire que la famille envisage de les publier. Pour en revenir au sujet, Oumar a été fauché prématurément dans la nuit du 10 au 11 mai 1973 après avoir été arrêté par le Chef de la sécurité malienne de l’époque en l’occurrence Thiékoro Bagayoko, ministre de l’Intérieur, à l’occasion d’une visite officielle du Président Senghor au Mali. C’était peu après sa réconciliation avec le Président Modibo Keïta. Il avait été arrêté en compagnie d’Aliou Sall plus connu sous le nom de Paloma. Ensuite, ils on été extradés par avion pieds et poings liés et condamnés à trois ans de prison. Il est surtout connu pour avoir été le premier jeune sénégalais à avoir intégré l’Ecole normale supérieure de Saint-Cloud. Un évènement qui lui avait valu la Une du journal Paris-Dakar de l’époque.
Votre frère s’était-il suicidé dans sa cellule de la prison disciplinaire de Gorée, comme le disent certains ?
Pour en revenir sur les causes de sa mort, on les connait de manière certaine puisque liées à la violence exercée sur nous par le Groupement mobile d’intervention (Gmi) qui avait été amené de Thiès pour nous mater. Et il y a eu un coup de trop qui lui a été fatal. A l’époque, moi j’étais en déportation au Centre pénitencier de Kédougou avec Mamadou Dia, Ibrahima Sarr et Valdiodio Ndiaye. Mon petit-frère Mohamed, aujourd’hui décédé, qui était avec Oumar à Gorée, avait pu nous raconter et aux parents les circonstances de la bagarre qui a été fatale à Oumar. Ce qui avait permis à mon père de porter-plainte pour coups et blessures volontaires ayant entrainé la mort sans intention de la donner.
Et la justice, était-elle intervenue ?
Ce qui est extraordinaire est que le doyen des juges de l’époque, en l’occurrence Moustapha Touré, saisi de cette plainte – après que mon père qui était médecin eut exigé une autopsie à laquelle il a assisté – suite à une visite à la prison de Gorée, est tombé sur la main courante du médecin qui faisait état d’une réquisition du gardien-chef lui demandant de se rendre à la prison pour le détenu Oumar Blondin Diop. En effet, il l’avait trouvé sans connaissance et il mentionnait qu’après lui avoir fait une injection de Solucamphre, le patient ne s’étant pas réveillé, il a ordonné son évacuation au Pavillon spécial de l’hôpital le Dantec. Le juge, accompagné de son greffier, avait demandé au gardien-chef s’il avait exécuté la prescription de l’infirmier. Il a répondu «non» en disant qu’il ne pouvait pas prendre le risque de transporter le fils Blondin sans connaissance dans la chaloupe de Gorée car, tout le monde allait savoir qu’il s’était passé quelque chose ce jour-là à la prison. Il semble qu’Oumar était mort dans les vingt-quatre heures qui ont suivi. Ensuite, ils ont sorti cette fable de la pendaison.
C’était tout sauf un suicide alors ?
Après une reconstitution, le juge avait vu que c’était mathématiquement impossible de se pendre même avec un drap dans les conditions du quartier politique de la prison disciplinaire de Gorée. Il avait ensuite inculpé tous les agents qui étaient en service ce jour-là, sauf le fameux Ndéré Faye qui était soi-disant en déplacement. Par la suite, il l’avait convoqué pour procéder à son inculpation. Malheureusement, il n’avait pas eu le temps de poursuivre sa procédure parce que dans les jours qui ont suivi, il avait été relevé de ses fonctions de Doyen des juges d’instruction. Le juge Dosseh qui l’a remplacé dans ses fonctions a attendu dix-huit mois, presque deux ans, avant de rendre une ordonnance d’incompétence levant l’inculpation des agents pénitentiaires. Il fondait sa décision sur le fait qu’en l’absence d’un certificat médical établissant une incapacité totale ou temporaire d’au moins vingt-un jours, il ne pouvait pas inculper lesdits agents et que mon père n’avait qu’à se pourvoir devant le tribunal de simple-police.
Qui a enterré Blondin Diop ?
Après l’autopsie, ce sont les policiers de Jean Colin, alors ministre de l’Intérieur, qui avaient procédé à l’inhumation de mon frère. Ils n’avaient pas voulu rendre le corps à la famille. Seul mon père et mon frère aîné, Ousmane, qui était rentré de Paris, avaient assisté à l’enterrement d’Oumar par les policiers. Et, lorsque cette affaire est restée en l’état, il nous aura fallu entendre quarante ans et plusieurs changements de régime pour que nous puissions être autorisés à faire apposer une plaque commémorative dans l’ancienne cellule où Oumar est décédé. C’est le 11 mai 2013 que nous l’avons pu faire avec sa photo.
Y a-t-il eu des avancées pour une réouverture de l’enquête sur ce décès ?
Il y a quelques temps, nous avions organisé une journée commémorative qui a eu un certain retentissement médiatique. Nous avons eu la surprise de voir l’un des assassins présumés, en l’occurrence le fameux Ndéré Faye, aujourd’hui décédé, le seul à n’avoir pas été inculpé pour raison d’absence. Ce jour-là, il s’était permis de donner une interview à un quotidien de la place pour réaffirmer de façon mensongère qu’il s’agissait d’un suicide. Il est même allé jusqu’à dire que mon père aurait dit, levant le cadavre de son fils : «mais pourquoi tu as fait ça ? ». Nous avons des documents écrits de la main de mon père dans son journal de bord, dans lequel il met qu’à la date du 11 mai, il y a eu l’assassinat d’Oumar à Gorée. Mais tous ces faits ne pourraient être exhumés que dans l’hypothèse où la procédure serait réouverte. Je rappelle qu’avant son extradition, Oumar avait été torturé à Bamako par Thiékoro qui l’avait rasé de force avant de le mettre dans une chambre froide pendant plusieurs heures.
Pensez-vous que cela soit possible sous le régime actuel ?
C’est suite aux fausses déclarations de Ndéré Faye que nous avions demandé au Garde des sceaux de l’époque, à savoir Aminata Touré, de rouvrir l’enquête après l’avortement de la procédure engagée quarante ans auparavant en temps et en heures. Depuis lors, nous sommes à l’écoute de la justice sénégalaise. Nous avons plusieurs échanges de courriers avec Me Sidiki Kaba, actuel ministre de la Justice, qui nous demande d’attendre. Seulement, l’attente devient longue car la plupart des acteurs et des témoins de ce drame sont décédés ou peuvent nous quitter à tout moment vu leur âge avancé. Heureusement que le juge Touré est encore vivant, même si le juge Dosseh n’est plus de ce monde. Ndéré Faye qui est l’un des auteurs présumés de l’assassinat est décédé l’année dernière.
Après 43 ans, croyez-vous encore au scénario d’une vérité qui triomphe ?
Par expérience, nous savons qu’avec ce genre de crime, même après un demi-siècle, la vérité fait peur. Je ne parlerai pas du cas Thomas Sankara qui est fameux puisque tout le monde voit comment les procédures sont bloquées. Il y a aussi l’exemple de Nobert Zongo, grillé au lance-flamme avec son frère et ses compagnons. Jusqu’à présent, on refuse d’ouvrir une enquête. Mais au niveau de la famille, notre conviction est que tôt ou tard, la vérité finit toujours par prévaloir sur le mensonge. D’ailleurs, je rappelle que les émeutes intervenues après la mort d’Oumar étaient la preuve concrète qu’elle n’était pas acceptée par l’opinion. Donc, courtoisement mais fermement, nous relançons périodiquement l’autorité judiciaire parce que seul le Garde de sceaux a la prérogative légale d’ordonner au Procureur de rouvrir ce dossier. Mais nous ne renoncerons jamais !
Propos recueillis par Abdoulaye MBOW