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EDITORIAL
Propriétaires de partis politiques
 
En 2012, alors que les coalitions fourbissent leurs armes en vue du second tour de l’élection présidentielle, le candidat Macky Sall s’entretient avec des visiteurs du soir. Ceux-ci l’interpellent sur la disposition des Assises nationales interdisant le cumul des fonctions de chef de parti et de président de la République. Le futur chef de l’Etat leur répond avec une franchise assumée: Vous savez, au plus fort de la guerre fratricide entre Abdoulaye Wade et Idrissa Seck, si Wade n’avait pas le parti (Pds) avec lui, il aurait été certainement renversé…
 
Les politiciens sénégalais ont établi des rapports particuliers avec les partis qu’ils dirigent après les avoir fondés. La réalité est que, comme presque partout ailleurs dans le monde, le parti politique est devenu l’instrument fondamental de conquête du pouvoir suprême. En dépit des très beaux discours sur les règles de démocratie interne, rares sont les chefs qui en laissent l’héritage à leurs collaborateurs, quitte à en organiser le sabordage.
 
L’exemple emblématique de cette fusion organique entre le fondateur et l’instrument, c’est le duo entre Me Wade et le Pds, avec ces histoires qui se racontent depuis 1974 et qui ne semblent pas devoir prendre fin. A l’extrême limite de cet autoritarisme sans frontières, le Pds a été sevré de candidat à l’élection présidentielle du 24 février 2019 parce que telle a été la volonté du chef. Mais l’ancien chef d’Etat est loin d’être un cas isolé.
 
Macky Sall a dit plus haut ce que tous les chefs de parti pensent tout bas. Il est quasiment impossible pour un président de la République de se départir du statut de chef de parti. Récemment, il a annoncé la structuration de l’Alliance pour la République (Apr), le parti qu’il a fondé en 2008 après avoir quitté le Pds. On peut en douter ! Structurer l’Apr, c’est organiser un congrès et faire élire tous les responsables par un vote démocratique.
 
La conséquence, c’est que le président de la République qui est chef de parti se prive alors démocratiquement de désigner les candidats aux élections législatives, par exemple, le choix des têtes de listes devenant quasi automatique grâce à la représentativité dégagée lors du congrès. Quel chef d’Etat prendrait le risque d’avoir à gérer des députés qu’il n’a pas lui-même désignés comme cela se passe dans le « système » sénégalais ?
 
On peut bien critiquer la carence des institutions publiques censées porter notre démocratie : leur carence n’est plus à démontrer. Cependant, on peut se demander si cela n’est pas un juste retour des choses en regard du refus obstiné des politiciens de favoriser une vie démocratique saine et réelle qui fasse respirer les instances internes des partis politiques.

Il est possible que le Dr Abdourahmane Diouf eut pu rester dans le parti Rewmi si des mécanismes internes rendaient possible une dévolution démocratique du pouvoir. Mais la réalité est tout autre : les perdants restent toujours en place car ils sont les propriétaires légaux des partis qu’ils mettent sur pied.

Qu'ils s'appellent Abdoulaye Wade, Idrissa Seck, Ousmane Tanor Dieng, Moustapha Niasse, Macky Sall, qu'ils soient usurpateurs en cours de route ou fondateurs originels, ils ont décidé d'être les figures tutélaires de ces organisations privées à but politique jusqu'à l'extrême limite de l'impossible. Les mécontents pourront toujours aller voir ailleurs! 

Une star, le peuple !
Comme à son habitude depuis plusieurs décennies, le peuple sénégalais a démontré encore une fois la très grande maturité politique et citoyenne dont il est capable en une grande occasion comme l’élection présidentielle, surtout celle-là de 2019.
 
En dépit des incompétences accumulées par les autorités dans la conception et la mise en œuvre d’un processus électoral conduit de manière unilatérale, malgré la gravité des cafouillages constatés le jour du scrutin ayant entraîné l’exclusion de milliers d’électeurs laissés en rade, les électeurs ont comme qui dirait remis les pendules à l’heure. Le peuple est souverain tant qu’on est en démocratie.
 
Le vote massif d’hier 24 février est une indication de plus sur l’impérieuse nécessité pour la classe politique de se hisser au niveau de la citoyenneté décomplexée qui s’est exprimée à travers les urnes. Discipliné, déterminé, sûr de sa puissance, le peuple sénégalais a clarifié ce qu’il attend de ses gouvernants : la prise en charge de ses préoccupations fondamentales, d’une part, et l’élévation du niveau qualitatif de la démocratie, par ailleurs. Il n’est plus acceptable à ses yeux de continuer à installer le pays dans des zones de turbulences politiciennes dont les soubassements résident dans le dessein maladif d’en tirer des dividendes partisans au détriment de l’intérêt national.
 
Ce peuple souhaite ardemment que cessent les manipulations du fichier électoral, les déplacements frauduleux d’électeurs à leur insu, les soustractions ou rajouts d’électeurs en dehors des périodes de révisions légales. Ces exigences sont la condition sine qua non d’un aggiornamento démocratique seul en mesure de balayer les ambiguïtés fondamentales qui balafrent le visage de notre démocratie.
 
 

Violences électorales : le miracle sous nos yeux!
Une seule semaine de campagne électorale avec un niveau de violence rarement égalé au cours des scrutins passés, c’est malheureusement une suite logique et implacable des événements qui se sont enchaînés depuis trois semaines. C’est monstrueux de le dire ainsi, mais c’est un quasi miracle que l’on en soit pour le moment « qu’à deux morts » uniquement ! A quels drames avons-nous échappé avec l’attaque nocturne du siège de Pastef  à Yoff? Dans la langue de Barbarie à Saint-Louis ? A Mbour avec le choc frontal Pastef-Benno Bokk Yaakaar ?
 
Le bilan macabre de Tamba ne serait-il pas un premier aboutissement du manque d’implication incompréhensible de l’Etat dans la prise en charge et l’anticipation de tels événements ? Ne devrions-nous pas avoir peur eu égard aux deux semaines d’hostilités à vivre avant la date fatidique du 24 février qui, elle-même, est lourde de dangers potentiels ? On n’est pas sorti de l’auberge. En attendant, la question qui fâche est inévitable : où est l’Etat ?
 
Depuis l’éclatement des premières escarmouches, la volonté des autorités de mettre un terme à la traînée de poudre n’a jamais été concrètement mise en œuvre. Et cela est peut-être la rançon de la confusion des pouvoirs entre le parti (association privée) et l’Etat (bien public).
 
Dans cette élection présidentielle déjà ensanglantée, il est donc de première urgence que l’Etat impartial reprenne le pouvoir du monopole légitime de la violence en mettant au pas les groupuscules informels organisés au service de politiciens. Il aurait d’ailleurs été admirable que les quatre autres prétendants au fauteuil présidentiel fassent l’objet d’une sollicitude sécuritaire de la part des organes officiels spécialisés dans la protection rapprochée, à l’image des grandes démocraties auxquelles nos gouvernants aiment si souvent se référer, quand la comparaison les arrange.
 
Laisser pourrir la situation actuelle et s’en limiter à des menaces de type partisan ne fera que renforcer la détermination des uns et des autres à se protéger de toutes violences sur le terrain et favoriser des affrontements encore plus graves aux conséquences incalculables pour le pays tout entier.
 

Wade & Nous
A l’unisson, médias, politiciens, intellectuels, citoyens lambda, etc. ont tous flétri l’initiative lancée par Abdoulaye Wade visant à « empêcher » la tenue de l’élection présidentielle du 24 février 2019. A l’unisson, nous sommes tous/toutes ou presque d’accord pour dire haut et fort que cet appel n’a pas lieu d’être car, dit-on, le processus électoral est irréversible. Soit.  
 
Me Wade a certes fondamentalement privilégié le sort et l’avenir de son fils, au détriment de son parti, le Pds. Et à force de s’être laissé aveugler par cet objectif, il en paie aujourd’hui le prix, esseulé dans son aventure sans lendemain.
 
Néanmoins, son attitude nous instruit d’une chose essentielle : en démocratie, les tenants du pouvoir ne doivent jamais être laissés à leur aise, faisant et défaisant les lois, manipulant et traficotant la constitution, maniant et personnalisant les divergences politiques jusqu’à modifier des codes électoraux pour punir des adversaires. Ceci est inacceptable.
 
Et pourtant, cela s’est passé sous nos yeux, par petites touches, en des périodes choisies, au su et au vu de tout le monde, devant les protestations impuissantes de forces politiques et sociales désagrégées. C’est un peu contre cette ambiance de fumisterie générale induite, quelque part, par l’absence d’un leadership d’opposition fort et charismatique que s’élève Abdoulaye Wade.
 
La démocratie ne survit pas là où les contre-pouvoirs politiques et institutionnels se sont affaissés. C’est peut-être là la leçon que Me Wade voudrait nous faire appréhender. Ce sera une portion de l’héritage qu’il laissera un jour à la démocratie sénégalaise.
Momar DIENG

 

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