Si le hasard est une cause accidentelle provoquant un évènement imprévu, ayant toute l’apparence de la fatalité, la nécessité a aussi un caractère irrépressible. La nécessité fait loi, pas le hasard, il en est incapable.
L’examen des évènements tragiques dans lesquels nous sommes englués depuis plus de deux ans au Sénégal montre qu’ils sont autant étrangers à leur résurgence aléatoire qu’au déterminisme de l’histoire en cours.
Les causes du désordre
Faisons un état des lieux : velléités de passage en force du Chef de l'État vers un 3ème mandat, lecture biaisée de la constitution, dérives liberticides de l'Etat central, enlisement de l’économie dans un marasme récessif, crise politique et sociale, montée de la violence...et fureur judiciaire ciblant le leader de Pastef et son establishment, échec des politiques de jeunesse et son lot de désenchantement.
La jeunesse désenchantée et inquiète des lacérations du lien social est la première à faire les frais de ce chaos annoncé. Frappée par les crises globales, divisés par des fractures nouvelles, ne se reconnaissant plus totalement dans les valeurs de notre société, elle doit tout de même y trouver sa place.
Elle se montre désireuse d’inscriptions électives fortes et semble plus que jamais en quête d’un récit qui pourrait rendre les Sénégalais solidaires, par-delà leurs divisions. C’est à l’exploration de ces tiraillements que notre projet démocratique s’interroge dans ce contexte, exigeant une réinvention de leur participation par une tentative de réenchanter la citoyenneté en faveur d'une démocratie plus directe, plus juste et plus efficace.
Notre pays est dans l'impasse, la démocratie est bloquée. La violence, diffuse, sélective et multiforme s'ajoute à cette déréliction et nous avons là tous les ingrédients d'une implosion politique et sociale. Et les conséquences seront irréparables.
Les constantes de cette nouvelle forme de répression névrotique instaurée par l'État incitent à une défiance plus affirmée, voire à une radicalisation de ceux qui en sont victimes et de leurs soutiens les renvoyant hors du domaine de la reconnaissance et du débat, bref de la démocratie. Le problème est que cette action publique crée une exclusion symbolique qui masque mal son impuissance à résoudre de lancinantes questions de fond.
L'enjeu de l'accaparement des ressources est aussi au cœur de ce chaos. Les revenus de ces ressources sont captés pour les placer au cœur d'un ordre politique consolidant leur pouvoir, les dirigeants négligent souvent la consolidation de l'État et de la démocratie, se mettant ainsi à la merci de termes d'échanges aléatoires, de distorsions économiques, et de frustrations populaires.
De leur côté les intermédiaires commerciaux ont souvent misé sur les dictatures pour assurer la « stabilité » nécessaire à la protection de leurs investissements.
Derrière cette forme de violence s'en trouvent d'autres, telles que celles de la paupérisation, de l'exploitation et de la négligence. Plutôt que de parler de « guerres de ressources », il convient donc de comprendre cette multiplicité de violences dont la brutale expression physique sous la forme insurrectionnelle en devient à la fois l'aboutissement et l'instrument.
La théorie du chaos a bon dos
Sigmund Freud disait que : « L’accumulation met fin à l’impression du hasard ». La théorie du chaos a bon dos quand on accable l’Effet Papillon en en jetant « un voile » sur la réalité.
Dans un semblant de désordre les phénomènes poussent à pressentir des liens de causes à effets.
Cette rage insurrectionnelle provenant de la jeunesse est donc à l’image de la nature oppressive de ce pouvoir, y compris pour le dictateur, emprisonné dans des liens qui le contraignent à mettre en péril sa propre sécurité, aliéné par la domination qu’il exerce.
Manipulant ses affidés, il est à son tour et sans doute plus que tout autre manipulé par une organisation dont la maîtrise ne lui revient qu’en partie. Tyrannisé par sa propre tyrannie, dominé par son propre processus de domination, soumis par ceux qu’il soumet, le dictateur n’est qu’un maillon d’une chaîne dont la cohésion n’est assurée que par la présence des éléments qu’il a lui-même mis en place.
Nous sommes dans une bifurcation historique
Nous sommes dans une bifurcation historique, car s'annonce une aventure indéterminée où la régulation citoyenne aurait en responsabilité l'urgence du vivant. Faisons en sorte que cette intelligence en mouvement qui nous anime soit collective.
La bifurcation est un élément clé pour notre réflexion sur la complexité. En effet, c’est parce qu’il y a une bifurcation qu’un système perd son état d’équilibre. C’est parce que le système perd son état d’équilibre qu’il peut basculer dans le chaos et rendre le système complexe.
La théorie du chaos enseigne que l’espoir de retour à la situation initiale est une utopie, si cela arrive c’est un hasard heureux, il ne faut donc pas tabler sur cette solution. Cependant la compréhension de la bifurcation originelle peut être l’un des moyens d’agir sur le système pour le ramener progressivement dans une nouvelle position d’équilibre.
Dieu Sauve le Sénégal
Le risque insurrectionnel s’est réalisé et ses déflagrations telluriques de nourrissent d'elles-mêmes. Désormais plane sur nos têtes si la providence ne s'y mêle pas pour juguler la crise, la menace de guerre civile avec sa rhétorique de haine, ses milices armées, assassinats fratricides, ses meurtres politiques, ses attentats, sa confrontation armée.
Le scénario du Chaos Total se précise.
Le hasard dans certains cas devient la volonté des autres. "Ce même hasard fait bien le chaos, quand il le fait "(J.C Carrière).
Nous y sommes, la guerre est déclarée. Dieu Sauve le Sénégal.
K.G. 3 juin 2023