Connectez-vous

Le Président Macky Sall face à son destin : entre tentation du fruit interdit du 3ème mandat et mesures correctives de garantie de l’unité nationale et de la paix civile (Par Pr Kader BOYE *)

Jeudi 12 Janvier 2023

Nota bene - Cet article a été entièrement rédigé et remis à l’éditeur lorsqu’éclata sur les réseaux sociaux l’affaire du post vidéo de Monsieur Ismaïla Madior Fall, ministre de la Justice, Garde des Sceaux. Ses déclarations sont d’une gravité telle que je considère que ce ministre représente un danger pour les institutions. Et par suite, devrait être démis de ses fonctions si le chef de l’État considère que notre Constitution est la Charte fondamentale de notre pays.


Le Pr. Abdel Kader Boye, ancien recteur de l'Ucad, ancien doyen de la Faculté des sciences juridiques et politiques de l'Ucad
Le Pr. Abdel Kader Boye, ancien recteur de l'Ucad, ancien doyen de la Faculté des sciences juridiques et politiques de l'Ucad
 
Le vacarme assourdissant alimenté par divers groupes agissant en proximité ou à l’intérieur du pouvoir, et sans retenue, sur ou autour de la validité d’un 3ème mandat du Président Sall en 2024, a de quoi surprendre et inquiéter.
 
SURPRENDRE, parce qu’à bon droit les citoyens honnêtes avaient cru qu’un tel débat appartenait à l’histoire politique du Sénégal des années 2010 à 2012. Surtout que ce débat sur le « 3ème mandat » portait à l’époque, non point sur la possibilité pour le Président de la République de faire plus de deux mandats, mais sur l’interprétation du champ d’application de la nouvelle règle constitutionnelle de 2001, quant aux mandats devant être comptabilisés. En effet, le 1er mandat du Président Wade avait été acquis sous la Constitution de 1963, qui ne comportait aucune limitation du nombre de mandats que pouvait faire un Président de la République. Cette question avait été fort bien tranchée par le Conseil Constitutionnel dans sa décision en date du 29 janvier 2012. Au surplus, le Président Sall lui-même, a soumis en 2016 au référendum, une réforme constitutionnelle (loi du 5 avril 2016) qui ne remettait pas du tout la limitation du nombre de mandats à deux. Celleci comportait une innovation consistant à réécrire l’article 27 de la Constitution, présentée par l’initiateur lui-même, comme devant mettre fin à toute controverse sur l’obligation à s’en tenir à deux mandats.
 
CLARIFIONS !
 
Qu’était-il dit dans l’article 27 de la Constitution sous sa version de 2001 ?
1 - La durée du mandat du Président de la République est de cinq ans. Le mandat est renouvelable une seule fois.
 2 - Cette disposition ne peut être révisée que par une loi référendaire. Que dit l’actuel article 27 sous sa reformulation nouvelle ?
1 - La durée du mandat du Président de la République est de cinq ans. 2 - Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs.
 
A la vérité, cette formulation est directement empruntée à la Constitution française, en son article 6, issu de la réforme constitutionnelle Sarkozy en 2008, qui entendait mettre un terme à la pluralité des mandats de cinq ans (réforme constitutionnelle de 2000, instaurant le quinquennat sans limitation du nombre des mandats). Cette formule qui a l’allure d’un principe est plus claire et plus simple pour le commun des mortels. Mais elle ne mettait aucunement fin à une écriture nébuleuse ou controversée de la règle de la Constitution de 2001, parce qu’il n’y avait aucun doute sur le sens de celle-ci.
 
Que dit enfin le Conseil Constitutionnel en sa décision du 29 janvier 2012 ? (V. Recueil des Décisions du Conseil Constitutionnel-janvier 1993-mars 2019-edit 2020). Citons : «Si la Constitution de 2001 a vocation à recevoir une application immédiate, le constituant peut en décider autrement comme en atteste l’article 104, qui met hors du champ d’application de cette nouvelle Constitution un mandat acquis sous l’empire de la Constitution de 1963 ; par suite un tel mandat ne peut servir de décompte référentiel ni être pris en compte pour la mise en œuvre de dispositions de l’article 27 de la Constitution 2001 limitant le nombre de mandats à deux».
 
En français plus accessible aux profanes, le Conseil Constitutionnel dit ceci:
 
1-Il est vrai que la nouvelle Constitution de 2001 limite le nombre de mandats que peut exercer un Président de la République à deux.
 
2- Mais pour décompter ces deux mandats dans les circonstances de la cause, on ne saurait inclure dans le décompte le mandat qu’avait acquis le Président de la République sous l’empire de la Constitution de 1963 qui ne comportait aucune règle de limitation.
 
3- Une solution contraire n’aurait été possible que si le constituant l’avait clairement indiqué dans la nouvelle constitution. Or tel n’avait pas été le cas. Et d’ailleurs c’est la solution d’exclusion que celle-ci entérinait dans l’article 104.
 
RESUMONS :
 
1-La réforme constitutionnelle initiée par le Président Sall n’a pas eu pour vocation de mettre fin à la Constitution de 2001. Elle y apporte des innovations selon l’exposé de ses motifs, comme la restauration du quinquennat. Elle laisse intacte la limitation du nombre des mandats présidentiels à deux mais en reformule son expression juridique: «Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs».
 
2-On rappelle que le président Wade avait restauré le septennat en 2008 par voie législative (loi constitutionnelle n° 2008-66 du 21 octobre 2008) tout en prenant la précaution de faire mentionner dans le nouvel article 27 que « la présente modification ne s’applique pas au mandat du Président de la République en exercice au moment de son adoption ». C’est une technique de prolongation du mandat tout en conservant la limitation des mandats. Elle n’est pas tout à fait honnête sans être illégale.
 
3 - C’est au final le nombre de mandats effectués qui seul entre en ligne de compte. La durée (7 ou 5 ou 10) importe peu. S’il en était autrement, tout Président calculateur pourrait ruiner le principe même de la limitation des mandats. Il lui suffirait de faire ce qu’a fait le Président Wade en 2008.
 
INQUIETER, parce qu’il semble exister désormais dans notre pays, des politiciens et non politiciens déterminés à ruiner le fondement politique de notre société : la Constitution. Au gré de leurs intérêts ou des intérêts qu’ils servent, ils proposent des lectures fantaisistes ou biaisées de tel ou tel article. Certains soutiennent même que la volonté du peuple, exprimée dans les rues par des manifestations ou émeutes, est plus forte que la Constitution. Un responsable d’un petit parti, méconnaissable, a soutenu sur un plateau de télévision qu’en 2024, les cartes pourraient être rebattues par des émeutes. (Il dit faire partie de la majorité présidentielle). Les inquiétudes sont d’autant plus fortes que certains députés soutiennent, sans être démentis, que le règlement intérieur de l’Assemblée nationale, qui est une loi organique, et qui a été distribué aux députés à la session d’ouverture de l’Assemblée nationale, n’est plus en vigueur. Et que dire sur cette remarque d’une ministre, que j’ai toujours tenue en estime, selon laquelle « la Constitution permet au Président de faire un 3ème mandat mais politiquement et moralement, il ne peut pas » ? Comme si le sens et la portée de l’article 27 de la Constitution n’étaient pas assez clairs pour dispenser de toute interprétation, comme l’a souvent rappelé la Cour de Cassation française dans le droit des conflits de lois.
 
Un bref rappel historique des conditions dans lesquelles le combat pour la démocratisation de la vie publique et contre les systèmes de gouvernement à vie (ou presque) a abouti à l’adoption , par consensus de tous les acteurs politiques en 1991 et 1992, de la première plus grande réforme consensuelle assortie de résolutions et/ou recommandations portant sur les principes de limitation du nombre de mandats présidentiels, de réduction de la durée de ces mandats et enfin de l’interdiction du cumul des fonctions de chef d’État et de chef de parti politique, mérite d’être souligné et rappelé.
 
Outre les nouvelles règles du code électoral stricto sensu, ces trois questions ont été en effet longuement et passionnément débattues au sein de la Commission nationale de Réforme du Code électoral créée par le Président Abdou Diouf en 1991 (7 mai 1991). Pour rappel, cette Commission avait pour Président feu Kéba Mbaye, assisté de feu Youssoupha Ndiaye, magistrat, feu Alioune Badara Sène, avocat, et des professeurs Abdel Kader Boye et Tafsir Malick Ndiaye. Tous les partis politiques reconnus en étaient membres, en raison de deux plénipotentiaires par parti. Pour nous singulariser et mettre en relief notre rôle au sein de la Commission, nous autres personnalités indépendantes, ayant pour mission d’impulser, de diriger les travaux, et d’écrire les textes, le Président Kéba Mbaye a créé le terme de Commission cellulaire (sous-entendu de la grande Commission).
 
Après adoption de tous les textes devant constituer l’armature du nouveau Code électoral, les Commissaires ont adopté trois recommandations portant:
 
1-Sur la limitation des mandats présidentiels à deux ; 2- Sur la réduction de la durée du mandat à cinq ans avec la réserve du parti socialiste qui demandait que cette réforme soit reportée après l’élection présidentielle de 1993 ; 3- Sur l’interdiction du cumul des fonctions de chef de parti politique et de chef d’État, le Président Abdou Diouf ayant accepté de transformer sa fonction en Président de parti (Mais on sait que Wade était contre cette interdiction qui était pourtant consacrée par la Constitution de 1963 mais jamais appliquée).
 
C’est donc dire que ces questions ne sont pas nouvelles et avaient reçu un consensus de toute la classe politique. Les remettre en question serait un grand recul. Le Président Wade a fait traduire dans la Constitution de 2001 les deux premières résolutions : limitation des mandats à deux et quinquennat. Mais a systématiquement refusé d’admettre l’interdiction du cumul des fonctions de chef d’Etat et de chef de parti.
 
En résumé, on peut légitimement se poser la question de savoir sur quel argument juridique pertinent pourraient se fonder les partisans du 3ème mandat, pour faire croire que le Président Sall pourrait composter allègrement un billet non valide et prendre le train en marche de l’élection présidentielle de 2024 ?
 
Comment croire que les membres du Conseil Constitutionnel pourraient valider un tel billet sans renier leur propre jurisprudence et sans violer les dispositions claires de la Constitution ?
 
MACKY SALL FACE A SON DESTIN ET A CELUI DU SENEGAL
 
Il faut faire attention. Le Sénégal n’est pas la Guinée. Et le Président Sall peut se frayer une sortie autre que celle de Alpha Condé. Il est face à son destin. A lui de choisir : ou imposer l’épreuve de force où il a tout à perdre, ou se hisser au rang de garant de l’unité nationale et de la paix civile en prenant courageusement les mesures correctives ou de sauvegarde de l’Unité nationale et de la paix civile. La société sénégalaise est en crise profonde : crise morale, crise politique, crise sociale, crise des institutions. Elle connaît des fractures profondes qui doivent être lucidement analysées et courageusement traitées. Notre système démocratique est en panne et connaît même des régressions : l’exercice des libertés publiques est souvent un vain mot. La prison est devenue une variable d’ajustement politique. Notre justice est défaillante et peine à s’affranchir des contraintes politiques au plan pénal. Notre système éducatif est lui-même en crise à tous les niveaux d’enseignement. Une explosion à caractère politique et social, du type de celui de mars 2021 ou d’un autre type aussi grave n’est pas à écarter. Avant même de faire des conjectures sur ce que le gaz ou le pétrole allaient rapporter au budget du Sénégal il faut, à très court terme, que le Président de la République en exercice, chef de l’État, garant de l’unité nationale et de la paix civile et sociale, se fasse violence et s’élève au-dessus des passions et ne perde pas de vue que le pouvoir dure un temps et ne doit être exercé que dans l’intérêt général. Et cet intérêt général commande qu’il fasse des compromis et prépare dans de bonnes conditions la plus importante échéance politique de 2024, l’élection présidentielle
 
La démocratie n’est après tout que l’art de faire des compromis, comme le Président Abdou Diouf a eu à le faire à deux reprises, en discutant avec son principal challenger et en formant par deux fois des gouvernements d’union nationale qui ont permis la confection du premier code électoral consensuel du Sénégal en 1992.
 
Les mesures d’apaisement qui nous paraissent aller dans ce sens sont de deux ordres : Les unes sont individuelles et les autres portent sur les conditions d’une bonne élection. Les mesures d’amnistie intéressant particulièrement des leaders politiques tels que Khalifa Ababacar Sall et Karim Wade doivent très rapidement être traduites en actes législatifs pour que l’élection de 2024 soit ouverte. La libération de tous les prisonniers dont les détentions sont totalement ou partiellement liées à des motifs politiques ou sont les conséquences de prise de position politique doit être effective.
 
L’emprisonnement de deux députés du Pur, suite à une bagarre dans l’enceinte de l’Assemblée nationale au cours d’une séance de celle-ci, et impliquant une femme députée ne paraît pas tout à fait conforme au droit. En dehors de toute passion, ce cas relève de la police intérieure de l’Assemblée réglementée par le règlement intérieur de l’Assemblée en son chapitre XIV, articles 53 à 59 (Pour autant que ce règlement intérieur est applicable).
 
«Dans les cas exceptionnels susceptibles de bloquer les travaux tels que : injures, invectives, menaces, bagarre ou agressions, le Président de l’Assemblée nationale peut prononcer l’expulsion temporaire de l’Assemblée». A rapprocher de l’article 53 alinéa 3 :
 
«En cas de crime ou de délit, il fait dresser un procès-verbal et saisit immédiatement le Procureur de la République. Il en rend compte au Bureau de l’Assemblée nationale». Mais pour que le procureur puisse engager une procédure pénale dans ce cas, il doit demander la levée de l’immunité parlementaire de ces députés. En effet ces dispositions de police intérieure sont à distinguer des dispositions du chapitre XIII relatif à l’immunité et plus précisément de l’alinéa 3 du chapitre XIII qui fait référence au cas de flagrant délit ou (fuite) pour délit ou crime commis par le député en dehors de l’Assemblée (dans la vie civile). L’Assemblée a-t-elle levé l’immunité des deux députés ? J’en doute. Le Président de l’Assemblée n’aurait-il pas pu s’en tenir aux sanctions qu’il tient de son pouvoir de police, quitte à ce qu’une solution autre puisse être trouvée dans le cadre de l’Assemblée ? Je le crois.
 
Enfin, et cela ne relève ni de l’Assemblée nationale et ni du Président de la République, le juge d’instruction de l’affaire dite Sweet-Beauty opposant M. Ousmane Sonko et la dame Adji Sarr, alléguant de viols répétitifs sur sa personne dans le cadre de son lieu de travail qui s’avère être une maison d’habitation aussi, pourrait délivrer les Sénégalais rapidement de leurs peurs, inquiétudes et commentaires malveillants, en rendant une ordonnance qui, dans notre entendement de juriste, ne saurait être qu’un non-lieu, eu égard à tous les éléments entourant cette affaire et étalés dans la presse, et eu égard surtout aux circonstances de lieu et de temps de la prétendue commission de l’infraction décrites par la plaignante même sur un plateau de télévision. Contrairement à ce qui est dit, le juge ne prend pas sa décision uniquement sur la base de son intime conviction. Mais sur les éléments probants qui pourraient caractériser l’infraction et sur l’ensemble des faits attestés qui entourent cette affaire. L’on se demande toujours comment cette affaire a pu franchir l’obstacle de l’enquête préliminaire. Quant aux mesures relatives à de bonnes conditions de déroulement de l’élection de 2024, il paraît urgent de revisiter certaines dispositions du code électoral rendues illisibles ou impraticables à force d’ajouts et de rajouts.
 
Par Pr Kader BOYE
* Ancien recteur université Cheikh Anta Diop (Ucad), Ancien doyen de la faculté des sciences juridiques et politiques de l’Ucad, (Source : Sud Quotidien du 12 janvier 2022)
 
Nombre de lectures : 598 fois


1.Posté par Mouhamed seck le 13/01/2023 01:45

Ainsi parle un vrai patriote. Article très fouillé, limpide et sans ambages.

2.Posté par Me François JURAIN le 13/01/2023 17:11
Merci de toute cette riche documentation, très utile pour un toubab comme moi, qui habite seulement depuis huit ans le sénégal, et qui s'intéresse, ce qui m'apparait normal, à la vie politique du pays où je vis.

Je suis pour le moins surpris que l'on soit obligé de "légiférer" sur le non cumul des deux fonctions, celle de chef d'un parti politique, et celle de Président de la République.
Lorsque l'on est élu "Président de la République", on devient ipso facto, le Président de tout un peuple, en l'occurrence dans le cas qui nous préoccupe, le SENEGAL.

Avant cette élection, le même est souvent Président d'un parti politique (en Afrique, toujours), c'est à dire un parti qui a des idées bien arrêtées, et un adversaire désigné, l'opposition, qui par définition, ne pense pas comme vous.

Dès lors que vous entendez rester chef de parti, vous ne pouvez plus, moralement s'entend car il ne s'agit pas ici de discuter de la légitimité d'une élection, puisque vous représentez un courant de pensée, souvent légèrement majoritaire, mais qui ne constitue pas l'entité du peuple que vous allez diriger. Vous n'avez pas à rassembler, mais à défendre les idées de votre parti. C'est pourquoi le Président de l'APR, Macky SALL, était dans sa logique, en déclarant un jour, bien maladroitement: "je veux réduire l'opposition à sa plus simple expression".

Mais, à mon sens, tout le mal vient de l’organisation de la vie politique, en Afrique, d'une manière générale, et au SENEGAL en particulier, puisque c'est le pays qui nous préoccupe.

Les partis politiques sont la propriété d'un seul homme, d'une seule famille ou d'un seul clan. Un parti politique, c'est la machine de guerre, celle qui désigne son poulain et qui va tout faire pour qu'il remporte cette élection. Il faut donc des voix, et il convient d'élargir, au maximum, sa base électorale. Pour se faire, et ce depuis l’indépendance, tous les candidats devenus présidents ont largement eu recours au clientélisme, à l'achat de conscience (expression que je n'ai entendue qu'au Sénégal, et que je trouve savoureuse), et dans cet univers, il ne peut y avoir qu'un seul vainqueur: celui qui sera le plus riche, puisque c'est celui qui pourra acheter le plus de consciences (dans un pays pauvre comme l'est le Sénégal, on peut faire des miracles avec un billet de deux mille francs! C'est la porte ouverte, évidemment, une fois l'élection gagnée à la corruption, la sur-facturation, et les détournements de fonds publics à outrance.

Le Président n'est pas élu pour SERVIR, mais pour SE SERVIR, afin d'assurer sa pérennité, et bien évidemment voler -car c'est du vol- tant pour son parti, mais aussi pour lui, sa famille et son clan, car il semble être une tradition en Afrique, que tout Président doit se bâtir une fortune personnelle énorme, sur le dos des pauvres du pays qu'il dirige: nous ne parlons pas là de quelques millions, mais de milliards, souvent en dollars ou en euros. Je dois reconnaitre que ce système a eu ses heures de gloires en FRANCE également, et il aura fallu les scandales du parti socialiste dans les années 80/90, avec les affaires URBA et GRACO, qui n'était ni plus ni moins qu'un système de sur facturations et de pots de vins, destiné à alimenter le parti socialiste d'alors, au pouvoir avec François MITTERRAND, pour remettre de l'ordre dans tout ça: dès lors, les partis quels qu'ils soient reçoivent une dotation annuelle, calculée en fonction de leur résultat aux différentes élections, les dépenses sont limitées, les dons sont limités et surveillés, et au surplus, il existe des contre pouvoirs, notamment la presse d'investigation, qui guette et surveille tout ca, au cas où le conseil constitutionnel aurait quelques faiblesses...Mais il est très clair, que l'homme étant ce qu'il est, si ce système n'était pas fortement encadré et surveillé, la France n’aurait certainement pas de leçon à donner au SENEGAL, sur ce chapitre là en tout cas.

Tant que ce système de dévoiement de la fonction reste à un stade "artisanal", nous avons un système à la WADE (pour ne parler que de l'ancien président), qui a fait quand même pas mal de dégâts dans les finances publiques, car il ne faut pas oublier que, lorsqu'un ministre "s'octroie" des centaines de millions, un peu pour lui, beaucoup pour le parti (ou l'inverse), ce sont forcément des sommes qui manquent pour mettre les hôpitaux à un niveau acceptable, des écoles pour réduire le taux d’illettrisme, ou tout simplement pour donner à manger à ceux qui ont faim, et ils sont nombreux ici!

Mais lorsque ce système est poussé au stade industriel, comme cela a été le cas avec Macky SALL, ou tout le monde s'y est mis, à savoir famille, belle-famille, amis proches, anciens ou nouveaux, etc. et que les exigences de chacun est sans limite, alors nous sortons du champ politique, pour se placer dans un véritable clan mafieux, avec une organisation à la sicilienne: un Parrain, qui se charge de l'impunité, et les caporaux, qui se chargent de mettre les mains dans le cambouis, et rapporter l'argent...
Et des lors que vous êtes dans un système mafieux, il n'y a pas de loi en dehors de la vôtre, celle du Parrain, puisqu'il a droit de vie et de mort sur tous ceux qui ne sont pas d'accord avec lui. Il règne par la force et la terreur, et malheur à celui qui n'est pas d'accord avec lui: nous n'en sommes pas encore à faire parler la poudre pour régler les comptes, mais la prison est l'étape ultime avant de faire couler le sang: avis aux amateurs.

J'ai eu l'occasion d'approcher de près -professionnellement parlant, s'entend!- des mafieux de la Cosa nostra sicilienne, et je peux vous dire que la ferveur des caporaux que j'ai pu constater, en son temps, le temps où je portais la robe, est identique à celle vouée ici au Parrain par les caporaux: dans un intérêt bien compris, car il s'agit de vie ou de mort! Ici, j'ose espérer qu'il s'agit simplement -le mot est mal choisi- de fortune construite rapidement grâce au Parrain, mais au final, encore faudrait-il interroger tous ceux qui sont morts parce que l’hôpital n'était pas à niveau, faute d'argent pour le moderniser...Par exemple!

Et en fait, le gros problème, c'est que nous sommes en train de voir l'affrontement de deux mondes qui ne peuvent se comprendre, parce que leurs valeurs, leur éthique, leurs habitudes sont à l'opposé.

Vous raisonnez - comme moi, mais heureusement nous ne sommes pas les seuls- avec un esprit cartésien: un pays, une constitution, des lois appliquées, un conseil constitutionnel compétent, et qui veille sur tout ça, pour schématiser.

Eux ne raisonnent pas du tout comme ça: pour eux, il y a un parrain, une "cosa nostra", la seule loi qu'ils connaissent et qu'ils respectent (dans leur intérêt bien compris), c'est la loi du Parrain. Donc, tout le reste, les lois, le Conseil constitutionnel, etc. Ça, c'est pour la décoration, mais il est bien évident que ce clan n'en tient aucun compte, puisqu'il ne fonctionne pas comme vous et moi!

Concernant ce troisième mandat illégal, illicite, immoral, et tout ce que vous voudrez, on a déjà entendu -mais ce n'est pas fini- tellement de bêtises, que je me suis demandé un moment si le SENEGAL ne voulait pas concurrencer le festival du rire de MARRAKECH, qui connait un succès mondial, en créant ici, au pays, le festival de la bétise humaine. Bon, en tête d'affiche, il y a ce malheureux garde des sots (non ce n'est pas une faute d'orthographe), mais il y en a tellement d'autres, et les candidats vont se succéder encore pendant un an, donc attendons la suite.

L'article 27 de la constitution est clair et limpide comme de l'eau de roche, et si la question m'avait été posée lorsque je passais mes examens, je pense qu'au lieu d'être avocat, j'aurai certainement été obligé de faire une formation de boucher-charcutier, car comment voulez- vous épiloguer sur un article de la constitution aussi clair que celui là! Honnêtement, je ne vois pas ce qu'il peut y avoir à dire...

Mais, toujours dans cette conception de clan mafieux, si les caporaux qui s'écartent de la Cosa nostra connaissent la sanction, le Parrain, lui aussi, est tenu à une obligation: celle d'assurer la pérennité de son clan. C'est pourquoi finalement le seul qui a été clairvoyant, à défaut d'être intelligent (il a lui-même déclaré qu'il n'avait pas fait de grandes études, ce qui m'a agréablement surpris car je croyais à l’entendre qu'il n'en avait fait aucune) c'est un caporal devenu milliardaire en un temps record du nom de FB, en déclarant: "qu'il le veuille ou non, M. fera un troisième mandat". Et c'est bien cela l'exacte vérité, il n'a pas le choix, car la décision ne lui appartient pas à lui seul. Il y a derrière lui toute cette meute de moutons bêlants, qui ont largement profité des largesses du Parrain, et qui n'entendent pas s'arrêter en si bon chemin. Le risque est donc gros, pour le Parrain de laisser tomber ses caporaux en cours de route, car ils savent trop de choses, qui pourraient fort bien mener le Parrain, sa famille, et quelques un de ses amis, sous réserve bien sûr de l'appréciation des juges, tout droit à REBEUSS : même avec la vue sur mer, c'est quand même moins agréable que Mermoz...Le Parrain le sait très bien: dans un clan, on est toujours trahis que par les siens: et il n'y a pas que les Parrains, prenez l'exemple de Jésus: qui l'a trahi?

Ce n'est pas un Président de la République qui peut se permettre de déclarer sans rire: les dossiers de mes amis, je les mets sous le coude! Vous en voulez une autre, pour la route: "il y a des personnes, quoi qu'elles aient fait, on ne peut pas les mettre en prison."...Non, il ne parlait pas de Monsieur O. SONKO...enfin, je ne pense pas! Ça c'est un langage de Parrain d'un clan mafieux, mais en aucun cas le discours d'un Président de la République qui n'est pas bananière...

Donc, dans cet affrontement de deux clans que tout oppose et que rien ne permet de se comprendre, il est évident que celui qui triomphera sera celui qui manie la loi du plus fort. Quand vous avez les pleins pouvoirs, que vous avez anéanti tous les contre pouvoirs, que l'opposition, faute de moyens, est aphone, à l'exception d'un seul qui est empêtré dans une affaire de petites culottes qui n'honore certainement pas la fonction qu'il vise, le reproche ne concernant pas ce qu'il a fait -sans la violence requise par le code Pénal, mais pourquoi être violent, ces choses là, quand c'est demandé gentiment, il est rare que l'on essuie un refus- mais le fait de s'être fait prendre bêtement, pourquoi voudriez vous que Macky SALL ne se présente pas à cette élection? Il vous a déjà répondu: la décision m'appartient et à moi seul! Preuve, s'il en était, que la constitution n'est pas son livre de chevet favori, et dans un clan mafieux, comme dit plus haut, la décision n'appartient qu'au Parrain. Alors oui, il y aura des manifestations, des morts, du sang, et bien oui, c'est la guerre des gangs, et c'est le plus fort qui imposera sa loi. Est le plus fort est...?

Voila, toutes proportions gardées, le SENEGAL est devenu le CHICAGO des années trente! Depuis fin 2012, alors que je ne connaissait rien du cursus politico-professionnel de Macky SALL, et qu'il m'avait emballé par son discours du 03 avril 2012 qu'il n'a évidemment pas respecté, faisant de lui dès son entrée en fonction, un traitre à la nation, j'ai toujours été persuadé qu'il resterait jusqu'en 2034. Donc, là, nous ne faisons que vivre l'épopée du troisième mandat, qui pour moi est une affaire pliée: rendez-vous pour le quatrième (si Dieu me prête vie!)
Me François JURAIN

Nouveau commentaire :













Inscription à la newsletter