La mise en place de la Haute de justice répond à un engagement des nouvelles autorités de faire juger les auteurs d’actes de gouvernance contraires aux intérêts du pays et des populations. Dans ce cadre, elle ne devrait épargner personne. Dans le viseur, l’ex président Macky Sall réfugié au Maroc et présumé responsable politique et moral de ces actes. La convention judiciaire entre Dakar et Rabat pourrait être dépoussiérée…
L’assemblée nationale du Sénégal a réactivé, le 28 décembre 2024, la Haute cour de justice (HCJ) et élu en son sein les 16 membres dont 8 titulaires qui doivent la composer. 140 parlementaires ont voté en faveur de l’initiative du gouvernement sur un collège électoral de 146 membres. Il y a eu 2 votes négatifs et 4 abstentions. Le scrutin s'est déroulé par voie électronique.
Les députés élus membres titulaires de la HCJ sont Alioune Ndao, Ramatoulaye Bodian, Amadou Ba n02, Youngar Dione, Rokhy Ndiaye, Mohamed Ayib Daffé, Daba Wagnane et Abdou Mbow.
Leurs suppléants sont : Samba Dang, Oulimata Sidibé, El Hadj A. Tambédou, Fatou Diop Cissé, Mouramani Diakité, Marie Hélène Diouf, Mayabé Mbaye et Fatou Sow.
A tour de rôle, ils ont prêté serment devant le pupitre de l’assemblée nationale « de bien et fidèlement remplir leurs fonctions de garder le secret des délibérations et des votes et de se conduire comme un digne et loyal magistrat ». C'est le président de l'institution parlementaire El Malick Ndiaye qui a procédé à leur installation solennelle.
Le retour au premier plan de la Haute cour de justice répond au voeu du nouveau pouvoir sénégalais de faire juger par « le peuple souverain » les actes et pratiques de l’ancien régime du président Macky Sall. Il correspond à des engagements du chef de l’Etat et du premier ministre Ousmane Sonko de donner droit aux revendications des victimes de la période 2021-2024 marquée par la vague de terreur et de répression tous azimuts contre des opposants politiques et des activistes de la société civile.
Macky Sall devrait-il s’inquiéter aujourd’hui avec la mise en place d’une juridiction qui vise clairement ses actes de pouvoir et ceux de ses collaborateurs ministres dans plusieurs gouvernements précédents ? A priori, l’ex tout-puissant chef de l’Etat est relativement tranquille car, dixit l’article 87 de la Constitution, « le Président de la République n’est responsable des actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions qu’en cas de haute trahison. »
Convention judiciaire entre le Sénégal et le Maroc
Mais si ce délit dit de haute trahison est trouvé, il pourrait être « mis en accusation par l’assemblée nationale, statuant par un vote au scrutin secret, à la majorité des trois cinquièmes des membres la composant », il pourrait être jugé par la Haute cour de justice.
Exilé à Marrakech (Maroc) avec famille et bagages depuis le soir de sa passation de service avec son successeur le 2 avril 2024, Macky Sall n’est jamais revenu au Sénégal. Tête de liste de sa coalition électorale aux législatives du 17 novembre, il n’a pas fait le déplacement au pays pour diriger la campagne électorale comme il s’y était engagé. L’échec de sa tentative - réelle ou feinte - de revenir au premier plan en comptant sur une victoire parlementaire a été totale. Sa présence dans le royaume chérifien - ou ailleurs - devrait perdurer sous la forme d’un séjour à durée indéterminée (SDI). Mais qu’adviendrait-il si les autorités sénégalaises demandaient son extradition au Maroc ?
Dakar et Rabat sont effet liés depuis plusieurs décennies par une Convention de coopération judiciaire, d’exécution des jugements et d’extradition. Cette convention est objet d’une ratification par décret royal en date du 19 décembre 1968. Si elle n’a pas été dénoncée par une des deux parties, le Sénégal pourrait l’invoquer. Pourquoi vouloir mettre en accusation et juger Macky Sall si le levier de l’extradition judiciaire ne devait pas être actionné ?
Pour les ministres et secrétaires d’Etat de l’ancien régime, l’affaire semble moins compliquée. Ils « sont pénalement responsables des actes accomplis dans l'exercice de leurs fonctions et qualifiés crimes ou délits au moment où ils ont été commis », précise l’article 87 de la Constitution.
Dans le projet de budget 2025, le gouvernement a mis en place un fonds d’indemnisations d’un montant de 5 milliards de francs CFA en faveur des dites victimes. Selon le ministre des Finances et du Budget, le travail d’identification des personnes éligibles à ce fonds se poursuit. 112 d’entre elles ont déjà perçu leurs dus.
Les enquêtes documentées d'organisations de droits de l'homme - comme Amnesty International - font état d'environ 50 á 80 personnes tuées par les forces de l'ordre durant les années de braise 2021-2024. L'ex pouvoir, n'a jamais publié de bilan après avoir plusieurs fois promis des commissions d'enquête sur cette répression.
La HCJ sera présidée par un magistrat professionnel, ainsi que l’ordonne l’article 86 de la Constitution. L’élection des membres a lieu en début de législature. Ce nouveau parlement est issu des élections législatives du 17 novembre 2024 remportées par le parti au pouvoir Pastef (patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité). Il remplace depuis le 2 décembre 2024 la législature précédente dissoute par le président Bassirou Diomaye Faye le 13 septembre 2024. [IMPACT.SN]