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Afrique du Sud: à Coligny, le long chemin de la réconciliation entre les races

Lundi 22 Avril 2019

C'est l'histoire d'une bourgade sud-africaine jusque-là sans histoire dont le destin a basculé pour 80 rands. L'équivalent de 5 euros, le prix d'une poignée de graines de tournesols chapardées dans un champ par un gamin noir de 16 ans qui en est mort.
 
Le 20 avril 2017, le meurtre de Matlhomola Mosweu par deux fermiers blancs a plongé Coligny (nord) dans la violence et ravivé les vieux démons du racisme qui continuent d'empoisonner l'Afrique du Sud un quart de siècle après la fin de l'apartheid.
 
Approuvée par la communauté noire, la justice a condamné Pieter Doorewaar et Philip Schutte à vingt-trois et dix-huit ans de prison pour avoir jeté leur victime, surprise en train de voler des graines de tournesol, de leur voiture en marche.
 
Défendus par la population blanche, les deux fermiers nient. Ils affirment que l'adolescent a sauté volontairement de l'arrière de leur 4x4 pour leur échapper.
 
La mort de Matlhomola Mosweu a enflammé Coligny. Quand elle a appris qu'un de ses jeunes avait été tué aux mains de Blancs et que la police tardait à les arrêter, la population noire est sortie du township de Tlhabologang et a passé sa colère en détruisant commerces et logements dans la ville blanche.
 
La bourgade perdue au milieu des champs du Highveld a aujourd'hui retrouvé sa calme apparence mais ses plaies ne sont pas refermées.
 
Depuis deux ans, le pasteur Tewie Pieters se dépense sans compter pour tenter de "réparer" les esprits.
 
"Avant il n'y avait pas de tensions à Coligny, c'était le bon temps. Alors nous avons été très surpris par ces émeutes", assure le révérend au regard bleu profond. "C'est la chose la plus triste qui nous est jamais arrivée".
 
- 'Fausses histoires' –
 
En pleine révolte, M. Pieters et ses colègues des autres églises de la ville ont alors décidé d'agir.
Volontaires pour désamorcer les conflits, réunions de quartiers, réparation des bâtiments détruits, leur nouveau "Forum pour la paix" se démène pour recoller les morceaux entre les deux communautés.
 
"C'était terrible, toutes les rumeurs et les fausses histoires. Chacun avait sa vision de ce qui s'était passé", se souvient Henk Myburg, un Blanc de 63 ans venu prendre sa retraite dans une ville qu'il croyait paisible. "Il était urgent de se parler".
 
La plupart des églises évangéliques noires du township ont repris la balle du dialogue au bond.
Comme celle du pasteur Kenneth Ngakane. "Je suis né ici. Je ne dis pas qu'il n'y a pas de racistes mais ils ne sont pas tant que ça", dit-il. "De nombreux Noirs travaillent pour les Blancs. Si on les fait partir, on a un problème car les Noirs n'ont pas d'usines à Coligny (...) on est obligés de s'entendre".
 
Mais les inégalités criantes entre les deux communautés rendent l'injonction un rien... illusoire.
Vingt-cinq ans après l'avènement de la démocratie, les couleurs de la nation arc-en-ciel rêvée par Nelson Mandela tardent à effacer la géographie en noir et blanc de Coligny.
 
D'un côté de la voie ferrée, un alignement de maisons proprettes aux pelouses bien arrosées des 2.500 habitants du bourg, pour l'essentiel des Blancs. De l'autre, un entrelacs des cabanes de planches et de tôles où s'entassent au moins 20.000 Noirs, certains disent le double, dans les effluves d'égouts.
 
- 'Colère' –
 
Faute d'un emploi, nombre d'habitants de Tlhabologang n'ont guère d'autre chose à faire que de ruminer leurs frustrations.
 
"De nombreux jeunes ne travaillent pas", rappelle une des voix du township, Stanny Mnyakama, directeur d'une école primaire. "Je connais un diplômé en psychologie qui est au chômage, il y a beaucoup comme ça... Cette situation nourrit la colère".
 
Les statistiques sont sans appel. Quelque 30,5% de la majorité noire du pays est au chômage, contre 8% à peine de la minorité blanche. Le salaire mensuel moyen d'un Blanc atteint 12.500 rands, celui d'un Noir ne dépasse pas 3.000 rands.
 
Malgré ce tableau, 60% de Sud-Africains jugeaient en 2017 que les relations entre Noirs et Blancs étaient meilleures qu'en 1994, selon un sondage de l'Institut pour les relations raciales.
 
"Il y a des incidents qui font la +une+ mais ils sont traités comme il faut par la justice", résume son directeur, Frans Cronje, "je ne pense pas que ça révèle un problème, mais plutôt que la société a atteint une bonne maturité".
 
N'empêche. Certains préjugés ont la vie dure.
Riche fermier blanc de Coligny, Pieter Karsten refuse d'endosser la responsabilité des inégalités. "Il n'y a pas de racisme ici. Juste une ségrégation normale entre riches et pauvres".
 
Une pause, et l'influent homme d'affaires, parent d'un des deux meurtriers, poursuit sa démonstration.
 
- 'Acte raciste' –
 
"Il a du travail ici mais ils (les Noirs) n'en veulent pas. Ils ont l'habitude de vivre de l'aide sociale. Le gouvernement ne fait rien pour eux, ils devraient blâmer les leurs", vitupère Pieter Karsten. "Certains ici inventent du racisme parce qu'ils espèrent gagner des voix en nourrissant la haine".
 
L'accusation fait bondir Vermaas Josiah, la voix du Congrès national africain (ANC) au pouvoir à Coligny.
 
"Le seul problème, ce sont ces deux Blancs qui ont tué ce garçon, leur irresponsabilité. C'était un acte raciste. Ces gars ont mis le feu à Coligny", assène celui qui se fait appeler "Shimpy", de toute son autorité de militant torturé sous l'apartheid.
 
"On n'a pas mis d'huile sur le feu, c'est faux", poursuit M. Josiah. "En tant qu'hommes politiques nous avons soutenu la population parce qu'on estime que Matlhomola n'aurait pas dû mourir, on n'a jamais encouragé la violence".
Sous l'apparence calme de la ville, donc, les rancoeurs persistent.
 
Le début en mai du procès en appel des deux meurtriers fait déjà redouter de nouvelles tensions. Le groupe de défense de la minorité blanche AfriForum leur a offert un avocat de renom qui entend bien casser un jugement "injuste".
 
Tewie Pieters s'en inquiète mais il veut croire que les graines de concorde qu'il sème avec obstination ont germé. "La route sera longue", résume le pasteur. "Mais si on survit à ça, nous montrerons à tout le pays ce qui est possible". (AFP)
 
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