Le flagrant délit permanent ! Cette expression qui date de la fin des années 80 est attribuée au magistrat Abdoulaye Gaye, ancien procureur général, alors aux prises avec les turbulences démocratiques que l’opposant Abdoulaye Wade imposait à un Abdou Diouf impopulaire et reclus dans ses appartements du palais de la république. Ce «délit» théorisé de toutes pièces a servi à condamner le chef du Sopi tout en lui imposant des «compromis» politiques qui n’empêcheront pas pour autant la chute du régime socialiste.
Trente ans plus tard, le flagrant délit permanent s’est mué en dogme politique œuvre du régime incarné par le chef de l’Etat élu en 2012. Un virage qui installe le pays et ses institutions dans un ridicule dont il sera difficile de trouver un pendant dans l’histoire. En fait, Macky Sall, en lieu et place de la démocratie, impose peu à peu l’Egocratie, ce vilain système de gouvernement qui fait de sa personne le centre de la vie politique sénégalaise.
Cette descente aux enfers de la pratique politique démocratique est caractérisée par deux faits majeurs cuisinés dans les antichambres du pouvoir en place : le dossier Karim Wade et l’affaire Khalifa Sall. Dans les deux cas, alors que le gouvernement pouvait en tirer des dividendes certains, Macky Sall se retrouve pris dans la posture du bourreau sans loi que celle de ses ambitions, contraint d’adopter une fuite en avant porteuse d’incertitudes, pas seulement pour lui-même et ses clans du centre et de la périphérie, mais pour la nation entière.
Son égoïsme opérationnel est synonyme de dangers car sa conception du pouvoir et de la gouvernance le place au dessus des intérêts du Sénégal. C’est factuel. Au lieu de concentrer ses efforts à réclamer à Karim Wade les 138 milliards de francs Cfa auxquels celui-ci avait été condamné par la Cour de répression de l’enrichissement illicite, il s’en désintéresse pour se suffire de la non présence négociée ou suggérée de l’ancien ministre d’Etat à la présidentielle de février 2019.
Est-ce acceptable, ce sacrifice de l’intérêt général, de la part du premier magistrat de ce pays ? Sous cet angle personnalisé des rapports politiques, les institutions deviennent naturellement des instruments d’accaparement d’un processus électoral programmé à être vicié comme il l’a été aux législatives calamiteuses de juillet 2017.
Avec le dossier Khalifa Sall, on est en plein dans le ridicule et le déni de justice. Au-delà des arrangements du maire de Dakar avec la gestion de la caisse d’avance, il y a lieu de dénoncer cette machinerie d’Etat qui s’est acharnée sur l’édile en chef de la capitale déclaré coupable d’un délit d’ambition inconnu en droit sénégalais. Ici comme ailleurs, la raison commandait de s’en tenir à des décisions de justice rendues au seul nom du peuple souverain, on n’en a jamais été proche tant l’arrogance des autorités dépasse l’entendement. L’accueil qu’elles ont réservé au jugement rendu par la Cour de justice de la Cedeao en faveur de Sall est une porte ouverte pour sortir d’une impasse due imputable à une volonté de puissance mal pensée et donc mal cousue.
Pourtant, à un moment ou à un autre, il va falloir se retrouver dans une autre dynamique, loin de la démesure. C’est au président de la république de revenir à plus de raison, par exemple en mettant définitivement sous le coude des instincts dictatoriaux en rupture avec ces standards démocratiques qui lui ont ouvert les portes du pouvoir, sans parrainage, ni manipulations des lois, encore moins chasse aux sorcières. C’est à ce prix bien peu élevé pour des personnes sensées et patriotiques que l’apaisement reviendra dans l’espace politique. La roue de l’histoire tourne trop vite aujourd’hui, intraitable, imprévisible, souvent impitoyable, tant les peuples peuvent être encore jaloux de leur souveraineté… (Cet article remanié est paru dans le quotidien "Tribune" du Lundi 9 juillet)