Le journaliste et consultant Adama Gaye nous avait prévenus tous, il y a plus de cinq ans, de la véritable nature d’un Macky Sall alors en compétition avec Abdoulaye Wade pour occuper le fauteuil de la présidence de la République. Certains en avaient tenu compte, d’autres l’avaient insulté, quelques-uns s’étaient abstenus de prendre part au second tour de l’élection présidentielle du 25 mars 2012. C’est Adama Gaye qui avait raison ! C’est un cocktail implosif de peste et de cholera que nous avons porté au sommet de l’Etat et des institutions du Sénégal. Nous en payons le prix aujourd’hui, jusqu’à la lie.
La nomination d’Aliou Sall au poste de directeur général de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) n’est pas seulement un scandale de plus dans la gouvernance de Macky Sall. C’est un méga-attentat public contre la Transparence et la Gestion Vertueuse des Biens de notre Pays. La CDC n’est pas une institution comme une autre : c’est le bras long financier et économique de l’Etat du Sénégal. C’est une sorte de banque publique géante aux capacités financières sans commune mesure avec les autres institutions qui échoit ainsi entre les mains du clan présidentiel, la Faye-Sall Family.
Cette nomination dont on espère qu’elle ne sera pas juste située dans le registre sec des pouvoirs dévolus au chef de l’Etat par la Constitution et les lois de notre pays est un tournant politique majeur dans les perspectives de conservation et de perpétuation du pouvoir par le clan Faye-Sall et ses affidés.
D’une part, elle consacre la «victoire» de la rébellion d’Aliou Sall contre des sous-clans de la «dynastie» régnante qui raffolent de le déchoir des «positions» fortes que, paradoxalement, le négoce pétro-gazier avec le Groupe Timis lui a octroyées en termes d’influence politique sur son frère aîné. Sall Jr. n’est pas né de la dernière pluie : il sait bien mieux que tout le monde l’importance significative que requièrent les décrets signés en sa faveur par Sall Sr. Des éléments de pression et de chantage relatifs à l’ensemble des coulisses qui ont entouré la cession de blocs d’hydrocarbures au groupe de l’homme d’affaires australo-roumain. Le grand-frère est dans le piège.
En acceptant de ne pas figurer sur les listes législatives aux scrutins du 30 juillet 2017, Aliou Sall envoyait en même temps un signal fort à Macky Sall: il ne serait plus question pour lui d’être hors du champ politique décisionnaire duquel certains voudraient l’éloigner. Sa posture naturelle de frère du chef de l’Etat ne devait plus être, à ses yeux, un facteur de mise en quarantaine du politicien qu’il est, maire de Guédiawaye, financier dans le parti présidentiel et patron de l’Association des maires du Sénégal (AMS). Qui peut le lui reprocher ? Cet avertissement, Macky Sall en a bien tenu compte, d’une manière ou d’une autre. La CDC est un gros morceau !
D’autre part, cette nomination complètement immorale et dénuée d’intelligence éthique ne fait que confirmer la faiblesse rédhibitoire qui caractérise l’homme que nous avons malheureusement élu en mars 2012. Sans carrure, sans charisme, froid, boudeur, intolérant… Les qualificatifs manquent pour décrire notre bien-aimé Président de la République. Faible contre les Etats et groupes affairistes rapaces qui dépècent notre économie, fort et impitoyable contre les opposants qui remettent en cause, à juste titre, ses incapacités notoires devenues trop évidentes, Macky Sall est finalement une hérésie pour notre pays, pour les démocrates sincères qui aspirent à élever notre démocratie vers des cimes supérieures, et même pour ces militants, cadres et responsables de son giron dépités par tant de errements et de laxisme calculé.
De quoi cette promotion d’Aliou Sall par son frère chef de l’Etat est-elle le nom ? Simplement, elle signifie une accélération des procédures d’accaparement de l’Etat et de ses leviers par le clan gouvernant et ses apprentis-politiciens et affairistes. L’agenda de Macky Sall est bien trop clair depuis belle lurette: il a décidé très tôt de tromper le peuple qui l’a élu par le reniement systématique de ses engagements solennels devant la nation. Un mandat à cinq ans volé sans scrupules. Une Constitution arrachée avec un taux de participation d’environ 38% au référendum. Un processus électoral saboté et emporté dans la douleur qui a laissé sur le carreau plus d’un million de citoyens sans carte d’électeur… La coupe est pleine il y a un siècle !
Tels les ouragans Harvey et Irma semant désordres et calamités sur leur chemin, le président Sall est en train d’installer le Sénégal dans un cycle irréfléchi d’incertitudes pour l’avenir. Au nom d’une revanche sociale sur le passé, il s’inscrit dans un sens de l’histoire qui associera son nom (et bien sûr celui de sa famille) dans une tragédie post-présidentielle qui pourrait l’accabler infiniment, intemporellement. C‘est pourquoi, il serait bien avisé de rapporter cette mesure scélérate qui le met encore une fois définitivement hors du cercle des intérêts du Sénégal. Mais ne nous faisons pas d’illusions, cet homme ne cède que dans le rapport de forces qui lui est défavorable. Il ne supporte pas les combats rudes, durs ; il perd le Nord aux premières escarmouches pour se placer dans la posture du négociateur.
C’est donc sans état d’âme qu’il poursuivra son œuvre de destruction méthodique des bases politiques, éthiques et morales de ce pays. Son régime a corrompu assez de journalistes, de politiciens, de notables religieux, et institué le népotisme un peu partout dans les strates de la bureaucratie d’Etat partisane pour qu’il soit à peu près tranquille un temps. Ainsi a-t-il pris goût aux méthodes du forcing permanent duquel il ne se départira point jusqu’à preuve du contraire. Qui a oublié son «vote» local de 2002 dans son fief de Fatick !
Dieu Seul sait si Macky Sall sera encore là en 2019, mais le geste politique posé à l’endroit de son frère Aliou Sall ne trompe pas : ce pouvoir est en très grande difficulté dans sa quête de survie.