Depuis sa création, la LIPS, fidèle à son idéal de promotion des valeurs islamiques pour une société de paix et de progrès, est très attentive aux questions de société, y compris la question politique qu’elle juge déterminante pour la stabilité sociale et le développement. Aussi, a-t-elle décidé, au regard des contextes politique et religieux du moment, de produire ce mémorandum destiné aux organisations politiques et candidats parties prenantes aux prochaines élections présidentielles du 25 février .2024.
Contexte politique
Il y a plus d’un demi-siècle que le Sénégal a accédé à la souveraineté internationale. Si, en moins de trois décennies, deux alternances démocratiques ont été réalisées sur le plan politique, le constat est cependant, à la fois décevant et inquiétant : notre pays peine à sortir du sous-développement, de la stagnation, voire de la pauvreté. La Ligue est convaincue que cette situation n'est due à rien d'autre qu'au fait que le pays est encore l'otage d'un système hérité du pouvoir colonial.
Un système dont le seul but était d'exploiter les richesses du sol et du sous-sol sénégalais, sans se soucier du bien-être et de l'avenir de son peuple.
Ce système pèse encore de tout son poids et plombe toute volonté de réforme
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N’est-il pas temps pour nous autres Sénégalais, de prendre conscience de l’impossibilité pour un peuple de se développer sans s’adosser sur les valeurs qui ont formaté pendant des siècles sa conscience collective, sans établir un lien direct entre son présent et son passé, et par une éducation capable d’assurer une transmission continue des valeurs et symboles qui en constituent les véritables repères.
Et pourtant, tout au long de la période coloniale, les tentatives et les manœuvres pour nous aliéner ont été nombreuses. Il y a eu le projet machiavélique de nous couper de notre véritable histoire, à travers un système éducatif conçu essentiellement pour nous convaincre que notre histoire ne commençait réellement que le jour où le colonisateur débarquait en conquérant. Des pans entiers de notre histoire ont été occultés, déformés, stigmatisés, voire brûlés.
D’inlassables efforts ont été fournis pour substituer une vision du monde à la nôtre, un autre système de valeurs au nôtre.
Le système éducatif colonial, dans le cadre de sa politique d’assimilation pour couper les populations de leur culture, a eu la pernicieuse idée de produire une génération d’intellectuels dont la principale mission serait de pérenniser l’héritage colonial.
L’on comprend donc pourquoi depuis le départ du colon, rien n’a été fait pour rectifier le tir. Conformément au projet colonial, l’élite politique qui a hérité du pouvoir a poursuivi la même démarche de dépersonnalisation, et de déculturation- acculturation. Mieux, elle a même parfois fait du zèle, en inscrivant un certain nombre de nos valeurs cardinales dans un échéancier comme un passif à liquider.
C’est une tautologie de dire que La construction d’une nation ne peut se faire que sur la base des valeurs et symboles auxquels se reconnaissent ses populations ; lesquels valeurs et symboles sécrétés tout au long de leur évolution historique incarnent à la fois la sauvegarde et la continuité de leur identité et permettent la compréhension du présent à la lumière du passé et la maîtrise de l’avenir.
L’exclusion du système étatique des croyances profondes des populations sénégalaises et des symboles auxquels elles se reconnaissent a eu pour conséquences leur indifférence et leur méfiance vis-à-vis de l’Etat et de ses dirigeants.
C’est en cela que réside la peine qu’ont les politiques à mobiliser et à mettre au service du développement du pays les énormes ressources et potentialités qui gisent dans chaque Sénégalais.
Contrairement aux guides religieux qui, eux, exercent une influence considérable sur les populations et font montre d’une capacité indéniable de mobilisation de ressources humaines, sociales et même financières à l’origine de grandes réalisations libres de tout concours extérieur.
La Ligue des imams et prédicateurs du Sénégal considère qu’il ne saurait y avoir de développement véritable pour un peuple dans l’ignorance voire l’hostilité vis-à-vis de sa culture. Elle en appelle donc à la prise en compte sincère et sérieuse des croyances, valeurs, normes et symboles du peuple sénégalais dans l’élaboration et la mise en œuvre des stratégies de développement. Il n’est que temps de briser la digue qui empêche la synergie entre le spirituel et le temporel, la culture et l’économie, condition sine qua non d’une véritable émergence.
Contexte religieux
Depuis l'avènement de l'islam, et donc depuis son introduction en Afrique au sud du Sahara entre les Xe et XIe siècles de notre ère, la préoccupation des religieux a toujours été d'accompagner les fidèles, quel que soit leur statut social ou professionnel (hommes politiques, hommes d'affaires, éleveurs, agriculteurs, artisans, etc.).
Pour perpétuer cette noble et exaltante mission, chaque génération d’Ulémas se doit de prendre ses responsabilités.
Au cours de sa longue histoire, la société sénégalaise a su s'accommoder de la laïcité et de la forme républicaine de l'Etat, avec une diversité de stratégies d'action et de formes d'organisation. Et à chaque époque, l'élite musulmane, d'avant Cheikhou Omar Tall à l'époque de ce dernier, en passant par Cheikh Ahmadou Bamba, Cheikh Seydi El Hadj Malick Sy, El Hadj Abdoulaye Niasse et tous leurs contemporains, successeurs et disciples, s'est intéressée aux questions sociales et à la chose publique.
Cette position, qui est aussi celle des Associations islamiques, n'a jamais varié et a donné lieu, ces dernières années à toutes sortes de débats sur la place de l'Islam dans la gouvernance au Sénégal, dont le plus récent et le plus complexe est celui relatif au code de la famille.
Le présent mémorandum de la Ligue des Imams et prédicateurs du Sénégal se situe dans cette tradition séculaire d’engagement dans le débat politique qu’elle considère à la fois comme un devoir citoyen et un sacerdoce.
A l'approche des élections présidentielles du 25 février 2024, la Ligue souhaite mesurer la prise de conscience des acteurs politiques d'aujourd'hui, une fois élus, sur les considérations contextuelles évoquées précédemment et leur volonté de rupture sur la base de nos valeurs culturelles et religieuses.
La Ligue appelle donc tous les candidats aux élections présidentielles à participer à des discussions et des échanges autour du thème central suivant : Formalisation des rapports entre l’Etat et la religion quelles perspectives pour la Gouvernance au Sénégal
Ce thème central peut être résumé en ces points :
1. L'idée de créer un Conseil Suprême Islamique qui serait l'interlocuteur privilégié de l'Etat pour toutes les questions islamiques.
2. L'adoption du Code du statut personnel musulman et la réhabilitation des tribunaux islamiques.
3. Le renforcement de l'enseignement religieux dans les écoles publiques sénégalaises, avec un programme cohérent.
Le Bureau exécutif de la Ligue des Imams et Prédicateurs du Sénégal