Deux hommes ont été tués lors d'une opération de gendarmerie au sud de Nouméa dans la nuit de mercredi à jeudi, portant à treize morts le bilan des troubles en Nouvelle-Calédonie depuis le vote il y a quatre mois à Paris d'une réforme institutionnelle contestée par les indépendantistes.
Deux habitants de la tribu kanak de Saint-Louis, âgés de 29 et 30 ans, ont été mortellement blessés par les tirs d'un membre du GIGN (Groupe d'intervention de la gendarmerie nationale), a indiqué dans un communiqué le procureur de la République de Nouméa Yves Dupas, qui a ouvert deux enquêtes.
Ces coups de feu ont été tirés alors "que des gendarmes en mission d'observation auraient été directement menacés par (un) groupe d'individus armés", selon le magistrat.
Les deux hommes tués étaient visés par un mandat de recherches, délivré en juillet contre 13 personnes localisées sur les terres coutumières de la tribu de Saint-Louis, bastion indépendantiste à une dizaine de kilomètres de Nouméa, sur la commune de Mont-Dore.
Ils étaient soupçonnées d'avoir tiré sur les forces de l'ordre, notamment sous l'autorité de Rock Victorin Wamytan, surnommé "Banane", tué le 10 juillet lors d'une fusillade avec les gendarmes. Une cinquantaine de braquages de véhicules près de la tribu leur étaient également reprochés.
- Appel à la reddition -
Jeudi matin, plusieurs dizaines de personnes se sont rassemblées après avoir appris au moins l'un des deux décès de la nuit, donnant lieu à un face-à-face tendu, avant que la tension ne retombe, a constaté une correspondante de l'AFP.
"Pourquoi vous tuez nos enfants ? On n'a pas d'armes", a crié Brigitte, une jeune habitante de Saint-Louis.
Dans un communiqué, le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS), l'alliance indépendantiste de l'archipel du Pacifique sud, a déploré un "jeudi noir pour le peuple kanak", accusant l'Etat français d'une "guerre contre la tribu de Saint-Louis" et d'un "génocide" contre la minorité autochtone calédonienne.
Le haut-commissaire de la République, représentant de l'Etat dans le territoire, a lui défendu sur la chaîne de télévision NC La 1ère a défendu une opération menée "sous la responsabilité de l'autorité judiciaire" durant laquelle les gendarmes "ont appliqué les consignes habituelles de légitime défense".
Les personnes recherchées "doivent se rendre, parce qu'il n'y a pas d'autre issue. Les familles de la tribu sont elles-mêmes victimes de ces individus", a exhorté le haut-commissaire Louis Le Franc.
"Je pense que les autorités coutumières ont fait le maximum pour essayer de les ramener à la raison, elles n'ont pas réussi visiblement", a-t-il ajouté.
Des feux de poubelle ou de pneus ont été allumés sur certains axes près de Saint-Louis ou dans l'agglomération de Nouméa dans la journée de jeudi, et des bruits ressemblant à des détonations de grenades lacrymogènes ou de désencerclement ont retenti, selon les correspondants de l'AFP.
- Forces mobiles en nombre -
Depuis le début des violences le 13 mai liées à la mobilisation indépendantiste contre un projet de réforme du corps électoral, la Nouvelle-Calédonie connaît un accès de tension inédit depuis la quais-guerre civile des années 1980 : treize personnes ont été tuées, dont deux gendarmes, des centaines de personnes ont été blessées et les dégâts matériels se montent à au moins 2,2 milliards.
Le sud de la Grande Terre (l'île principale de l'archipel) reste inaccessible par la route.
Les forces de l'ordre ont totalement fermé six kilomètres de route en raison de l'insécurité qui règne au niveau de la tribu de Saint-Louis. En quatre mois, la gendarmerie estime y avoir essuyé plus de 300 coups de feu.
L'accès à la tribu pour les 1.200 personnes y habitant se fait à pied et après avoir présenté une pièce d'identité aux gendarmes. Seuls les services de secours et les ambulances peuvent traverser Saint-Louis.
Ailleurs en Nouvelle-Calédonie, la quasi-totalité des barrages érigés en mai ont été levés et la circulation rétablie.
Un couvre-feu reste toutefois en vigueur de 22H00 à 05H00 partout. Il va même être étendu de 18h00 à 06h00 du 21 au 24 septembre, date sensible et jour férié dans l'archipel, marquant l'anniversaire du rattachement à la France en 1853.
Des manifestations sont attendues, et une quarantaine d'unités de forces mobiles de police et de gendarmerie seront déployées, soit environ 4.000 hommes, selon le ministère de l'Intérieur.
Les restrictions sur les ventes et la consommation d'alcool, le port d'arme à feu ainsi que la vente d'essence ont été prolongées sur l'ensemble du territoire jusqu'au 24 septembre également. [AFP]