« Mesdames, Messieurs les députés membres de la commission des Affaires étrangères,
Député des Sénégalais de l’extérieur, j’ai l'honneur de porter à votre attention les violations graves et flagrantes des droits humains et une restriction des libertés au Sénégal.
Le Sénégal, qui a toujours été cité comme un exemple de démocratie apaisée en Afrique de l’Ouest, connaît depuis un peu plus de deux ans une vague de manifestations réprimées violemment par le régime de Macky SALL.
En février 2021, Monsieur Ousmane SONKO, Président du parti Patriotes Africains du Sénégal pour le Travail, l'Éthique et la Fraternité (PASTEF), qui est arrivé troisième à l’élection présidentielle de février 2019, député et leader de l’opposition sénégalaise, est accusé de viols répétés et de menaces de mort par une employée d’un salon de massage, Mademoiselle Adji SARR.
Dès le début de cette affaire, le procès-verbal de l’enquête rendu public par la presse locale ainsi que les premiers témoignages ont mis en évidence un complot fomenté pour liquider un adversaire politique.
En effet, des noms de personnalités proches du régime de Macky SALL ayant joué un rôle central dans ce complot ont été cités par des témoins proches de l’accusatrice.Le témoignage du gendarme enquêteur qui a été harcelé avant d’être radié par Monsieur Macky SALL et celui du médecin gynécologue qui a consulté l’accusatrice le soir des prétendus faits, deux agents assermentés, auraient pu suffire pour classer le dossier sans suite et ouvrir une enquête pour dénonciation calomnieuse.
Durant les deux années d’instruction, malgré la manipulation flagrante de l’institution judiciaire et la campagne de diabolisation menée contre sa personne, M. Ousmane SONKO s’est toujours mis à la disposition de la justice sénégalaise.
L’opinion sénégalaise étant très bien informée sur le dossier d’accusation de viols répétés et de menaces de mort et sur sa vacuité, attendait du juge d’instruction qu’il prononce un non-lieu. Mais le régime du Président Macky SALL avait dès le début de cette affaire exigé que le leader de l’opposition sénégalaise soit inculpé et jugé devant la chambre criminelle du TGI de Dakar.
Comme beaucoup d’observateurs l’ont déjà souligné, ce dossier ne devait même pas dépasser la phase d’enquête de la gendarmerie.
Il est important de noter aussi que, Monsieur Ousmane SONKO a subi, à plusieurs reprises, des violations de ses droits et libertés les plus élémentaires, mais aussi des agressions physiques d’une gravité extrême exercées par les forces de sécurité à chaque fois qu’il s’est déplacé pour répondre à une convocation du tribunal.
Le 16 mars 2021, lors du procès qui l’opposait au ministre sénégalais du tourisme, pendant qu’il était sur le chemin du tribunal, le convoi de Monsieur SONKO a été encore une fois bloqué par des agents de la Brigade d’Intervention Polyvalente, qui ont cassé une seconde fois la vitre de son véhicule et lui ont aspergé d’un liquide dangereux avant de le mettre dans leur véhicule blindé pour l’amener de force au tribunal.
C’est à la suite de cette énième agression que Monsieur SONKO a décidé de ne plus collaborer avec cette justice aux ordres du président Macky SALL.
Ainsi, le 1er juin 2023, la chambre criminelle du tribunal de grande instance hors-classe de Dakar, ne disposant d'aucune preuve de viol, ni de menace de mort et au vu de la couverture médiatique mondiale de cette affaire, s’est résolu à acquitter Monsieur Ousmane SONKO des faits pour lesquels il devait comparaître.
Cependant, comme par enchantement, le juge de la chambre criminelle du tribunal de grande instance hors classe de Dakar a, pour répondre à la demande du procureur sous les ordres directs du Ministre de la Justice, donc du président Macky SALL, disqualifié les faits en un délit de "corruption de la jeunesse".
Le juge a ainsi condamné Monsieur Ousmane SONKO à une peine de deux (02) ans de prison ferme, une amende de six cent mille (600 000) FCFA et vingt millions (20.000.000) F CFA de dommages et intérêts, le rendant de fait inéligible à la prochaine élection présidentielle de février 2024.
Des manifestations spontanées ont immédiatement éclaté, jusqu'au 3 juin 2023. Un (01) gendarme a accidentellement trouvé la mort en se retrouvant sous les roues d’un véhicule blindé manipulé par un de ses collègues.
Selon les chiffres d’Amnesty international, vingt-quatre (24) jeunes manifestants ont été tués, pour une grande majorité par balles réelles.
Cinq cent quatre-vingt-sept(587) personnes ont été blessées, dont soixante-dix (70) par balles. Près de Cinq cents (500) personnes ont été arrêtées par les forces de défense et de sécurité. Des témoignages vidéos ont, malgré les tentatives de dénégations et manipulations du régime de Macky SALL, montré l'implication de milices armées aux côtés des forces de défense et de sécurité.
Ces tentatives des services du ministre de l’Intérieur du Sénégal de manipuler l’opinion nationale internationale n’ont heureusement pas résisté aux “fact-checking” de médias internationaux comme la chaine de télévision française “France 24”, celle qatarie “Al Jazeera”, de journaux comme “le Monde”, le “New York Time”.
Tous ces médias ont battu en brèche les versions du régime avec des images accablantes pour les pouvoirs publics sénégalais.
Les prisons du Sénégal sont aujourd’hui remplies de citoyens qui n’ont fait que réclamer une justice équitable et impartiale.
Les rafles des militants de PASTEF continuent malgré l’accalmie de ces deux dernières semaines. Aujourd’hui de nombreux responsables du parti PASTEF, dont le Secrétaire Général monsieur Bassirou Diomaye FAYE, sont en prison pour avoir exprimé une opinion politique.
Le signal de la télévision WALF TV a été suspendu depuis le 1er juin sans aucun respect des formes et pour une durée d’un mois par le gouvernement pour avoir couvert les manifestations.
Des journalistes et des chroniqueurs sont aujourd’hui sous mandat dépôt en attendant une instruction qui peut durer jusqu’à 6 mois pour des motifs fallacieux.
Ces événements malheureux avaient été précédés d’un blocus illégal du domicile de Monsieur Ousmane SONKO. Jusqu’au moment où je vous écris cette lettre toute sa famille est séquestrée, y compris ses enfants de bas âge.
Il convient de préciser que cette mesure du ministre de l’Intérieur ne repose sur aucune décision de justice.
Monsieur Macky SALL, après avoir réussi à rendre inéligibles ses anciens principaux adversaires, en l’occurrence, messieurs Karim WADE et Khalifa Ababacar SALL, conformément à sa doctrine publiquement exprimée en 2015, de "réduire l'opposition à sa plus simple expression", il a encore réactivé sa machine politico-judiciaire, pour réserver le même sort à Monsieur Ousmane SONKO.
Quand bien même ces deux personnes avaient obtenu une grâce du Président de la République, elles sont toujours privées de leurs droits civiques et politiques. Des dispositions anticonstitutionnelles sournoisement introduites dans le code électoral à la veille de l’élection présidentielle de février 2019, continuent de leur être opposées.
En effet habituellement, c’est le juge qui devait prononcer la privation de droits civiques de façon expresse, en peine complémentaire, au moment de la décision rendue.
Ces magistrats n'ayant pas jugé nécessaire de priver ces accusés de leurs droits civiques et politiques, l'État du Sénégal s'est rabattu sur le code électoral.
Par le biais de ce texte liberticide à son initiative, le gouvernement a introduit des dispositions portant manifestement atteinte aux droits de ces personnes.
Aussi voudrions-nous vous demander, de bien vouloir interpeller, dans les meilleurs délais, le gouvernement du Sénégal, au sujet des atteintes graves aux droits et libertés des citoyens dont il est constamment l'auteur.
Nous vous demandons aussi de l'inviter à élucider les tueries, à mettre immédiatement un terme aux exactions et violations des droits et des libertés des citoyens, et à respecter scrupuleusement la Constitution. Nous sollicitons également l'envoi en urgence d'une commission d'enquête internationale, pour nous édifier davantage sur les faits rapportés.
Nous vous prions de croire, Mesdames, Messieurs les députés membres de la commission des affaires étrangères, à l'assurance de notre parfaite et sincère considération. »
Paris, le 16/06/2023
Alioune SALL
Député sénégalais pour la circonscription de l’Europe du centre, du Nord et de l’Ouest.
1er vice-président de la commission défense et sécurité.