L’aveu est toujours la reine-mère des preuves, même quand il est implicite, et surtout quand il concerne la politique et l’intimité nauséabonde de ses caniveaux. Aux premières heures d’une « affaire privée » en voie de se transformer en scandale d’Etat - Ousmane Sonko est accusé de « viols répétitifs » et de « menaces de morts » par une employée d’un salon de massage - « ordre » semble avoir été donné aux responsables, militants et alliés du président de la république d’observer le silence absolu sur une bombe politico-médiatique en gestation. Cela ressemble à un aveu de paternité ! Affaire privée ?
En imposant motus et bouche cousue à ses ouailles – dans le genre «tenez-vous à carreau et laissez-moi faire ; pas d’interférences svp !» - Macky Sall est passé à l’acte, accréditant lui-même la thèse de son intérêt direct ou indirect dans cette sombre affaire de mœurs. En moins d’une semaine, la police nationale, la gendarmerie nationale, le procureur de la république, le juge d’instruction du 8e cabinet et l’assemblée nationale, toutes des institutions d’Etat, ont pris possession d’un dossier potentiellement explosif eu égard aux implications lourdes qu’il porte, le tout dans un chronogramme impressionnant en termes de célérité et d’efficacité. Affaire privée toujours ?
Dans tous les pays du monde où la guerre entre pouvoir et opposition est une donnée permanente, le (mauvais) sort des opposants reste de première importance et priorité. Le Sénégal n’échappe pas à la règle. Cette sale affaire est une aubaine inespérée pour le président Macky Sall – muet comme d’habitude - de liquider un adversaire politique teigneux qui lui cause des soucis immenses depuis une dizaine d’années et qui, de facto, est devenu l’irréductible chef d’une opposition désertée trois mois plus tôt par des candidats potentiels aux honneurs de la république. Il l’a déjà fait avec d’autres par d’autres armes en d’autres circonstances, pourquoi se priverait-il d’une énième victime qu’il avait pris soin d’extirper de l’administration fiscale sénégalaise il y a cinq ans ?
L’objectif de se débarrasser d’Ousmane Sonko ne fait l’objet d’aucun doute. Même ses plus farouches et indécrottables adversaires ne se font pas d’illusion depuis l’entrée en jeu officielle de l’Etat dans cette « affaire privée ». Mais ce qui est détestable se trouve à deux niveaux.
D’une part, c’est la détermination irresponsable avec laquelle le pouvoir s’est engagé à éliminer un concurrent politique gênant en usant de ses prérogatives absolutistes de domination sur les institutions présumées républicaines. Cette démarche est à l’image du chef de l’Etat, perpétuellement obsédé à consolider ses desiderata autocratiques logés dans une mentalité d’intolérance qui fait courir un risque d’embrasement au pays.
D’autre part, il faut déplorer la démission choquante d’une bonne partie des médias anesthésiée à la fois par le cercle de corruption dans lequel elle a été ferrée depuis dix ans et par son manque d’ambitions pour la sécurité globale du Sénégal. L’idée ici ne consiste pas à suggérer un quelconque parti-pris en faveur d’Ousmane Sonko et de ses naïvetés surprenantes, mais il appartient aux journalistes d’être les lanceurs d’alerte au service de la cause démocratique et des exigences fondamentales qui la placent au-dessus de contingences partisanes et claniques sans lien avec les intérêts généraux de notre pays.
Si le leader de Pastef doit être naturellement comptable de ses errements, faut-il banaliser à ce point et de manière aussi flagrante, en les traitant à la marge, les éléments liés à une sale guerre menée contre un opposant sous l’ombre des leviers exécutifs d’une république accaparée par des entrepreneurs politiciens égoïstes et sans vergogne ? Faut-il que les médias se complaisent dans la banalisation des restrictions successives des libertés à travers des arrestations systémiques et systématiques de militants politiques alors même que la justice garante des libertés des citoyens est sous coupe ?
Depuis 2012, c’est l’extrême volonté de puissance développée par Macky Sall, sous le drapeau d’un sectarisme outrancier, qui structure la démocratie sénégalaise. Les détentions intempestives d’opposants/ membres d’organisations de la société civile, la conduite unilatérale du processus électoral et la capture fomentée de l’élection présidentielle de février 2019 sont des étapes cruciales d’un autoritarisme primaire que le Sénégal avait cru dépasser.
Las ! Il faudra en arriver à le contraindre à un minimum de compétition démocratique, sans le secours de policiers, gendarmes, juges, etc. Faut-il le rappeler, c’est grâce à ce chemin d’élégance démocratique minimale acceptée par tous ses concurrents d’hier qu’il est arrivé au pouvoir. Depuis 2012, c’est une autre personnalité qui s’est révélée aux Sénégalais. En pire. Un vrai chantier pour les médias !